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Mais celle-là était de l'ordre des très grandes vies, non seulement parce que
l'expérience l'avait étendue au loin et approfondie, parce qu'une magnifique
culture la rapprochait des hauts esprits de tous les temps, mais parce qu'elle
se multipliait en rayonnant, parce qu'elle était ardeur et bonté. Jamais on
ne s'est mieux donné à l'homme, jamais on ne s'est mieux enrichi de son
essence, jamais on ne l'eut si pleinement pour ami. L'amitié, cette vertu
féodale, si rare, si délicate à pratiquer, si riche en devoirs joyeux, elle n'é-
tait pas pour Vibert un dépôt avare, confié en secret à des âmes de céna-
cle : elle sortait de lui comme une lumière, et tout ce qu'elle touchait était
rajeuni. Dans ce corps solide, si bien fait pour vivre, dans ce cœur vail-
lant, il y avait cette force entraînante, ce don de persuasion spontanée qui
charment et qui attachent pour toujours. Cette source, elle était inépuisa-
ble. Elle est tarie d'un seul coup.
      Comment ne pas songer d'abord à ce qu'il y a de plus fraternel, de
plus intime dans ce que nous gardons de lui ? Ce n'est pas un passant
sympathique qui disparaît dans l'éloignement et que nous regrettons, c'est
notre ami, c'est notre camarade, c'est une part toute vive et toute doulou-
reuse de nous. Ce visage, il est trop près, nous le chérissons trop, pour
qu'un des nôtres puisse en faire le portrait, comme s'il s'agissait d'un mo-
dèle, attentivement observé. Nos souvenirs sont trop mêlés de notre vie
à nous, il tient encore à nos cœurs par toutes les fibres. Et pourtant, il faut
bien dire que Laurent-Vibert fut autre chose qu'un homme que nous ai-
mions bien.
      C'était un seigneur, parce qu'il voyait haut et parce qu'il voyait fort.
Dans sa gaie familiarité, dans son expansion cordiale, il n'y eut jamais rien
de bas, de médiocre ou d'emphatique. Il offrait le rare exemple d'un
homme d'études devenu homme d'affaires et sachant rester homme de loisir.
Formé à Lyon, puis l'un des élèves de cette Ecole Normale qui a produit
tant de générations brillantes et fortes moins entachées de rhétorique ou
d'étroite critique que par le passé, il ne vit jamais dans la haute culture
un divertissement sec ou une élégance professionnelle, mais un magnifique
moyen de satisfaire et d'accroître son humanité. En Italie, où l'avait ap-
pelé sa désignation comme membre de l'Ecole de Rome, il ne fut pas
dévoré par ses travaux d'érudit, par ses belles recherches d'archéologue, il