page suivante »
— 86 — arrivait au pas de charge par la rue des Carmes, du côté nord-ouest de la place. Il avait à sa tête un officier protégé par Reverchon, un juif prussien du nom d'Hagaert, qu'on appelait communément en ville « le féroce Hagaert ». Celui-ci fit mettre ses soldats en bataille et, pendant que les tambours continuaient de battre la générale, il commanda de charger les armes et prit des dispositions pour faire cerner la place en dirigeant une partie de ses hommes du côté nord-est par la rue Sainte-Catherine. La foule, qui s'était portée à la rencontre des nouveaux venus, recula d'abord en panique lorsqu'elle entendit le chef de bataillon donner l'ordre de la mettre en joue ; puis, repoussée par les curieux de l'arrière qui ne se rendaient pas compte du danger, elle revint bientôt faire face aux soldats dans un mouvement d'irrésistible reflux. Hagaert n'osa cependant pas commander le feu. Hésita-t-il devant les conséquences incalculables de son action, ou attendit-il des ordres de Montchoisy qu'il apercevait sans doute s'approchant en hâte? On ne sait. Sa troupe demeura immobile, arrêtée dans toute marche en avant par la populace qui, désormais, ne reculait plus. Montchoisy avait, d'un coup d'oeil, aperçu le danger. Sans souci de sa propre sécurité, il bondit seul entre les soldats et la foule, et, se portant garant des sentiments pacifiques que celle-ci lui réitérait sans cesse, il donna l'ordre à Hagaert de regagner son casernement. Des applaudisse- ments bruyants s'élevèrent de toutes parts ; on acclama le général. Celui-ci fut cependant obligé d'insister avec énergie pour que son commandement soit exécuté. Hagaert et ses hommes étaient dans un état de furieuse exaspé- ration : « Les soldats rugissaient — dit un récit qui semble digne de foi — ; ils mordaient leurs chapeaux, leurs armes ». Une lettre au ministère de la police s'exprime ainsi : « Hagaert, enragé de voir son coup manqué, frap- pait la terre du pied et mordait son sabre. La rage était peinte sur le visage des soldats ». Nous verrons plus loin, dans une lettre d'Hagaert, quel était l'état d'esprit de ce forcené. Le détachement se décida cependant à reprendre le chemin de la caserne de l'Annonciade. La foule, satisfaite, commença à évacuer enfin la place, se dispersant dans toutes les voies d'accès, et bientôt le calme régna devant l'Hôtel de Ville. Toute crainte de conflit meurtrier entre le peuple et l'armée était désormais écartée. Grâce au général Montchoisy, à son