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deliers et la colline ouvrière lui apparaissait alors comme la forteresse du
labeur et de la souffrance. Il songeait à la tournée qu'il avait faite avec Arlès-
Dufour et à l'atelier lépreux du pauvre tisseur emprisonné à Perrache ; il
évoquait sa femme «errant sans pain », avec ses huit enfants « comme une
lionne », il se rappelait le métier où le plus petit, âgé de cinq ans, travaillait
debout. D'autre part, aigri par les polémiques religieuses, piqué par les
insultes des Jésuites, gardant dans sa mémoire les accusations du Monopole
 Universitaire et du Catéchisme de Collombet, il ne voyait à Fourvières que
la tyrannie des ordres puissants, la servitude des couvents, « les longs murs
froids », les tristes « robes noires » ; il se souvenait de cette promenade
d'août 1843, quand il y monta « dans l'orage », à travers « l'idolâtrie qui
bordait le chemin ». Et comme son apprenti du Banquet, sollicité par le
double appel des montagnes rivales, — il se détournait de Fourvières et
gravissait la « rude montée de la Grande Côte » : « Ah ! ceci me décide. Je
vois, ô vieille mère, que votre jeune sœur est désormais l'église des souf-
frances, l'église du combat. C'est elle qui jeûne, qui se dévoue, qui espère ;
elle qui vit de l'esprit, de la fraternité future. J'irai à elle, j'irai travailler et
souffrir. Là où est la foi, l'amour, là est le vrai banquet ! »1.
C'est ainsi que se termine ce chapitre du Banquet mystique que les Lyon-
nais ne connaissent peut-être pas assez. Grâce à Michelet, la littérature
française s'est enrichie d'une grande et dramatique image de Lyon. Son
symbolisme peut déplaire à certains, mais sa beauté s'impose à tous. Moins
serein, certes, que la Prière sur l'Acropole, l'hymne aux deux Collines s'élè-
ve à la même hauteur par l'élan de l'inspiration, l'éclat et l'harmonie du
style1.
      On sait maintenant comment cette image a pu éclore et s'épanouir
dans l'esprit de Michelet. Pendant des années, il n'a vu de Lyon que la cité
harmonieuse, aux nobles ordonnances monumentales, « unissant les peu-
ples et les fleuves ». C'était le tableau que devait s'en faire l'historien, con-
templant le passé, avec le recul des siècles. Mais un jour, vers le milieu de
sa vie, il est entré dans la mêlée. Lui-même était en pleine tourmente,

     2. Le Banquet, p. 168.
     1. On sait que le Banquet était resté inachevé et que M°" Michelet en a complété certaines parties, en
se servant des notes et du journal. Mais le chapitre sur Lyon est entièrement de la main de Michelet.