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390 M. PAUL DESJARDINS une étude consciencieuse de l'homme, à nous montrer les beaux côtés de sa nature, à nous élever au-dessus des vul- garités et des laideurs, à éclairer de quelques rayons d'idéal notre existence souvent si sombre. Cette existence a bien assez de ses tristesses sans qu'on les exagère encore. Un des rôles, et non des moins utiles, du roman n'est-il pas de nous distraire et de nous délasser de la vie ? Faudra-t-il donc que ce soit au contraire la vie qui nous délasse du roman? Les naturalistes diront : Nous ne sommes pas des amu- seurs publics. Artistes avant tout, nous représentons la réalité telle qu'elle est. — Mais d'abord, répondrons-nous, la réalité n'est pas telle que vous nous la montrez : vous en exagérez les traits; vous en forcez les couleurs. Vous êtes des carica- turistes, non des peintres de portraits. Votre esthétique, d'ailleurs, est fondée sur une philosophie "matérialiste que nous repoussons. Si, de tous les êtres de l'Univers, l'homme est le plus digne d'occuper le génie de l'artiste, ce que l'homme a de plus grand, c'est son intelligence et surtout son cœur. Le romancier, s'il veut mériter le nom d'artiste, doit faire de cette partie morale de l'homme son principal objet, et c'est à elle surtout qu'il doit s'adresser. L'art est sentiment et pensée. Nous n'avons que faire des sensations qu'il chercherait à réveiller en nous. L'imitation de la na- ture doit être pour lui un moyen, jamais un but. Cette littérature du jour sera-t-elle, comme on l'a dit, la littérature d'un jour, ou verrons-nous nos romanciers conti- nuer à fournir aux étrangers ces tristes documents sur nos moeurs et notre état social ? On finirait vraiment par croire que la vie est aussi laide qu'ils nous la représentent, et nous verrions s'accomplir la prédiction de Schopenhauer annon- çant pour cette fin de siècle le triomphe des idées pessi-