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                  NOTES D'UN PROVINCIAL                    371

terre classique de l'ignorance et de la mendicité. D'où vient
que mes yeux ne pouvaient se détacher de l'effigie d'un tel
personnage ? Je vais dire une énormité, et je m'en voile
d'avance le visage, mais pour ce seul Guitarero, que j'en
donnerais des Corot, et même des Millet !
   Car j'en puis parler, j'en ai vu beaucoup. Il y en avait à
l'Exposition, et, des Corot surtout, il y en avait trop, beau-
coup trop, infiniment trop : surabondance d'autant moins
opportune que, quand on en a vu un, on les a, en vérité, à
peu près tous vus. Au premier plan, un arbre de teinte
blanchâtre dont quelques feuilles et quelques rameaux font
tache noire : notez ce dernier point, car il est caractéris-
tique; sous l'arbre, et s'enfonçant dans le tableau, de l'eau
à peu près stagnante, qui fait perspective jusqu'à un horizon
blafard et indécis comme elle-même. Quelquefois l'eau est
remplacée par une allée; alors il y a des personnages, géné-
ralement mythologiques, qui représentent tout ce qu'on
veut. On peut sans injustice les négliger, car on ne fera
qu'imiter le peintre. Le pire, c'est que, à en juger par cer-
taines œuvres de jeunesse, Corot était un tout autre artiste
que cela; il existe de lui et il y avait à l'Exposition, entre
autres études, des vues de Rome, très nettement et très
naturellement lumineuses. J'imagine qu'un jour, après avoir
fait par hasard un tableau embrumé du genre de ceux que je
viens de décrire, le peintre l'a vu tellement admiré, prôné,
acclamé par quelque critique influent, avide de paraître
avoir découvert quelqu'un, qu'il s'est dit simplement :
« Puisque c'est si merveilleux, j'en ferai tant qu'on vou-
dra, ce n'est pas bien difficile. » C'était si peu difficile, en
effet, qu'un Corot payé 10,000 francs, et par M. Alexandre
Dumas, s'il vous plaît, s'est trouvé être un Trouillebert
que son auteur a reconnu en ces termes : « C'est un pay-