Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
 408                  LA REVUE LYONNAISE
 apprendre tout à coup que j'ai fini d'être inutile et obscur. La
 Providence est une bonne mère, la fortune est aveugle, dit-on ; à
 ce compte, elle est exempte de préférences. Peut-être ai—je enfin
 gagné à cette loterie qui tire tantôt celui-ci, tantôt celui-là du
 milieu de la foule, et l'introduit brusquement de la salle d'attente
 où l'on sèche sur pied, en la salle d'honneur promise aux heu-
 reux. »
    « Rien pour moi? — Si ! » Et lettres, cartes de visite, journaux,
 brochures me pleuvent dans la main. A une curiosité générale,
 incertaine, succède aussitôt une curiosité restreinte, vive d'autant.
    J'emporte à l'écart mon aubaine, et je déchire les enveloppes et
je fais sauter les bandes. Naturellement je cours au plus inté-
 ressant. ..
    Quoi de nouveau à Paris, la ville capricieuse et terrible ? Et
 ma pauvre petite ville natale, si humble en France, si grande en
mon cœur, est-elle tranquille? Un tel est malade, un tel est mort. .
 Mon meilleur camarade d'enfance se marie : joie et patience au
 couple nouveau !...
   Le facteur est reparti me disant un bonsoir auquel, trop distrait,
j'ai mal répondu. Avant sa venue j'espérais, je craignais. Je re-
commencerai ainsi demain et toujours : craindre, espérer, n'est-
ce pas toute la vie; et l'homme fait-il autre chose sur terre qu'at-
tendre toujours un bonheur qui ne vient jamais?
   Le monde qui est en moi, de pensée en pensée, comme d'ondu-
lation en ondulation une eau profonde, s'est troublé; mon âme est
autre d'il y a un instant ; les choses ont changé autour de moi.
   Ainsi un humble facteur relie ma solitude à l'univers entier;
grâce à lui rien d'humain ne me semble étranger. Un pauvre
homme qui ne se doute de rien, me fait au cœur cette impression
profonde; la voix de cet être chétif m'émeut à l'envi d'une belle
musique ou d'une poésie puissante. 0 mystère !

                                  *
                                 * *

  Nous « devons » supporter autrui, autrui doit nous supporter.
Quiconque se dérobe à ce « devoir » pèche contre la justice, pre-
nant et ne donnant point, recevant toujours et ne rendant jamais.