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       LA MORALE DANS LES FABLES DE LA FONTAINE                     365

     Sur ce terrain, il est aisé de faire le procès au fabuliste. Plu-
  sieurs n'y ont pas manqué et ont même abusé de l'argument pour
  condamner l'œuvre tout entière.
     Au premier rang de ces censeurs sévères, J.-J. Rousseau se dis-
  tingue par la violence de sa critique. L'auteur à!Emile ne veut pas
  que son élève apprenne les fables de La Fontaine. Pourquoi? parce
 qu'il prétend que ce n'est pas à des enfants de six ans qu'il faut
 apprendre qu'il y a des hommes qui flattent et mentent pour leur
 profit.
     Le prétexte peut étonner qui ne connaît pas le système du philo-
 sophe sur la perfection native de l'homme. S'il esl vrai, comme
 le soutient Rousseau, que l'homme naît avec de bons instincts,
 ignorant le mal, il ne faut pas se presser de lui dire qu'il y a des
 fourbes et des flatteurs. Mais si c'est le contraire qui est la vérité,
 s'il y a des enfants qui, sachant à peine parler, savent déjà mentir,
 ce n'est pas trop tôt à six ans de leur dire qu'il ne faut pas imiter
 les hommes qui flattent et mentent pour leur profit.
     « Suivez, dit Rousseau, les enfants apprenant leurs fables, et
 vous verrez que quand ils sont en état d'en faire l'application, ils
 en font presque toujours une contraire à l'intention de l'auteur,
et qu'au lieu de s'observer sur le défaut dont on veutles guérir ou
préserver, ils penchent à aimer le vice avec lequel on tire parti des
défauts des autres. »
    En somme, Rousseau ne veut pas qu'on donne à lire aux enfants
une seule fable de La Fontaine, d'abord parce qu'ils ne pourraient
pas la comprendre, ensuite parce qu'elle serait pour eux une leçon
d'immoralité.
    A cela on pourrait répondre que si les enfants ne comprennent
pas, la leçon est pour eux sans danger. Mais ce serait peu connaître
les jeunes intelligences si facilement ouvertes aux récits du fabu-
liste. Rousseau pouvait douter des facultés de son élève imaginaire;
mais le père qui lira à son enfant une fable de La Fontaine, sera
bientôt convaincu de l'impression profonde qu'elle produira. Le
regard attentif de son auditeur dira assez qu'il comprend et contre
ce fait, les rêves creux du philosophe ne peuvent rien. Les ques-
tions bizarres que celui-ci suppose que l'enfant ne manquera pas
de faire sur les invraissemblances du récit, sur le merveilleux des