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LE ROMAN NATURALISTE 285 science, quand science il y a, est certainement une chose sainte lorsqu'elle sait se maintenir dans sa sphère, mais quand elle se livre aux écarts d'une réclame dangereuse et inutile, elle cesse d'être sacrée et moralisatrice pour devenir méprisable et immorale. Ces arguments présentés avec tant d'assurance par le natura- lisme pour prouver la moralité des œuvres qu'il a inspirées une fois réfutés, notre tâche n'est pas finie. Il ne nous suffit pas de faire ressortir l'inutilité de ces œuvres pour le but qu'on prétend leur donner, il nous faut encore montrer l'action funeste et dissolvante qu'elles peuvent avoir sur la société. Nous avons dit plus haut en invoquant l'autorité de Cicéron que les peintures ou les expressions lubriques étaient d'abord une atteinte aux convenances, nous allons plus loin maintenant et nous prétendons qu'elles ont, dans quelque intention qu'elles aient été faites, les effets les plus funestes au point de vue moral, lors- qu'elles sont livrées surtout â une certaine publicité. La preuve de ce que nous avançons là n'est certes pas difficile à faire, et il faut vraiment être naïf pour ne pas comprendre pour- quoi le bon sens public s'indigne lorsqu'il voit décrites certaines choses qui peuvent être fort honnêtes en elles-mêmes, tandis qu'on peut sans l'effaroucher lui dépeindre les plus grands crimes. Eh, mon Dieu, l'explication est bien simple. On se laisse aller plus facilement à commettre certaines fautes qu'à se rendre coupable d'un meurtre ou d'un incendie. Les sens sont fatale- ment entraînés par l'imagination à ce qui les flatte plutôt qu'à ce qui leur répugne naturellement. Vous ne pousserez au crime par les détails horribles d'un meurtre que les natures détraquées, tandis que vous pouvez faire dévier par la peinture du plaisir, quelque bourbier que vous disiez être au fond, les natures les plus droites. Sans doute, parler souvent et à outrance du crime, c'est im- moral et dangereux, on en a parfois la triste démonstration, mais parler inconsidérément des plaisirs sensuels c'est immoral aussi et plus dangereux encore. Et pour qu'il n'y ait pas d'équivoque déclarons en terminant que ce n'est pas surtout la crudité des mots qui nous effraye, c'est bien plutôt la liberté séduisante de certaines peintures que