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   260                   LA   REVUE     LYONNAISE

      Prenons quelques exemples.
      Adélaïde Fouque, la tige de cette famille de fous, n'est-elle pas
   bien jugée par ses compatriotes de Plassans qui se contentent de
   sourire d'un air d'indulgente pitié lorsqu'ils connaissent ses fautes 1 .
      Marthe Rougon qui devient vraiment folle par l'influence
   qu'exerce sur elle l'abbé Faujas, son mari à qui la vue des crises
   de sa femme arrive à en faire prendre de semblables, sont-ils des
   êtres libres et responsables ? 2
     Et l'abbé Mouret, peut-on attacher quelque importance à ce que
  dit et fait un pareil homme ? M. Zola n'a-t-il pas même été bien
  sévère en qualifiant de faute son roman avec Albine? Ce jeune
  homme aux imaginations bizarres qu'un rien impressionne et fait
  frémir, qui n'aime pas les chèvres parce qu'avec leurs caprices
  et leurs entêtements de filles, avec leurs mamelles pendantes
  qu'elles offrent à tout venant, elles sont pour lui des créatures
  de l'enfer suant la lubricité, qui tombe évanoui après une extase
  devant la statue de la Vierge au souvenir d'une fille qu'il a vue
  une fois, et qui fait ensuite une maladie aux effets étranges, est-il
  capable de commettre une faute, ou plutôt n'est-il pas la victime
  absolument passive d'un accident inévitable?
      Mais il vit si peu dans ce qu'on considère comme les circons-
   tances normales d'une existence humaine, que M. Zola lui fait
   faire un long rêve tout éveillé, et que, pendant tout le temps qu'il
   est jeté dans le Paradou avec Albine, cause fortuite qui a déter-
   miné la crise de sa maladie latente, pas un souvenir de sa condi-
   tion et de son existence précédente ne vient le hanter. Il faut la
  trouée dans le mur du parc, l'aspect de l'église des Artaud surgis-
  sant en plein soleil sur son coteau brûlé et la brusque apparition
' du frère Archangias pour le rappeler à lui-même. l i a , du reste,
  si bien conscience des forces puissantes et des circonstances fatales
  qui l'ont poussé que rentré dans sa vie habituelle il a sans doute
  quelques regrets, mais il n'a pas un remords. Et quand il récite
  les dernières prières sur le cercueil de cette Albine qu'il a aimée
  et que son abandon a poussée au suicide, il n'a ni un tressaille-


   ' Voir La Fortune des Rougon,
   2
     Voir La Conquête de Plassans.