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188                  LA REVUE LYONNAISE
 intervalles, de la hauteur, les eaux étincelaut comme d'énormes
 èmeraudes enchâssées dans du marbre blanc, échappaient peu à
 peu à nos regards. En face de nous, sur la falaise grise, grimpait
 un étroit chemin suspendu dans le vide, un de ces chemins qui
semblent faits pour empêcher de passer; et une dernière fois, dans
une flambée de soleil, la montagne nous apparut écartelée de sombre
verdure et d'éblouissante aridité. Bientôt le village lui-même s'en-
fonça comme dans une trappe qui se refermerait. Et, comme un
décor nouveau que l'on poserait, de lointains bleuissants agrandirent
l'horizon. Puis le soleil se voila, et il passa sur la lande grise de
grandes ombres qui semblèrent l'animer.
    Impossible de peindre le charme mélancolique de ce paysage :
charme tout fait de solitude et de silence; et je pensais, par une
étrange association d'idées, à ces villes d'eaux, à ces établissements
spéciaux, où les malades du corps trouvent la guérison, et je
me disais qu'il serait peut-être bon de songer aux maladies de
l'àme, et que Balazuc serait une retraite on ne peut mieux choisie,
une station souveraine pour les désenchantés, les blessés de l'exis-
tence. Rien qu'à regarder les montagnes etle beau ciel azuré dans
le calme contemplatif de cette nature puissante, on trouverait,
semble-t-il, l'apaisement, l'oubli et la guérison.
   Le paysage avait complètement changé d'aspect ; nous nous
trouvions maintenant à l'entrée d'une plaine monotone, faite de
champs pierreux, où poussait une herbe rare et poussiéreuse,
où jaunissaient quelques mûriers rabougris ; et sur le flanc du
petit coteau que nous descendions, se tordaient quelques aman-
diers échevelés par le vent. A quelques centaines de mètres devant
nous, une maisonnette carrée — la gare — d'où partait une large
ligne noire rayant la plaine, dans la profondeur de laquelle elle se
perdait.
   Entre ce vieux castel que nous venions de quitter et cette ligne
de fer et de feu que nous allions retrouver, mille ans s'étaient
écoulés.
   Ce château, c'était le passé avec ses gloires et ses erreurs, ses
grandeurs et ses ignorances, sa foi sublime et son fanatisme, son
bien et son mal, double aspect de toute chose humaine ; cette ligne
de fer...