Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
128                      LA    REVUE       LYONNAISE

poussés par des misérables qui allèrent, un jour, jusqu'à assassiner,
après un semblant de jugement, le commandant Arnaud, de la garde
nationale, ou bien encore arrivait à nos sièges le lugubre bruit
d'une nouvelle et écrasante défaite de nos armées. De bien mau-
vais jours étaient encore à prévoir. Néanmoins, M. Baudrier
croyait achever sa carrière sous son hermine, et ne déposer sa
toge que lorsqu'il aurait eu la satisfaction de voir son fils, admis
dans le corps judiciaire et s'y montrer, comme les magistrats, ses
aïeux, fidèle aux grandes traditions d'honneur, de probité et d'in-
dépendance qu'ils lui avaient légués. Mais M. Baudrier comptait
sans les gens du Pouvoir ; il avait même la bonhomie de croire que
quelque mauvais que fût leur esprit, ils n'oseraient jamais poser
une main sacrilège sur l'inamovibilité de la magistrature, l'une
des bases fondamentales de notre droit social. Toutefois , il était
 douloureusement affecté de la situation qui, depuis trois ans, était
faite à la magistrature, tous les jours injuriée dans les journaux et
jusque dans les Chambres, tous les jours menacée et sur le point
d'être décimée. Néanmoins, comme l'a fait remarquer au Sénat un
êminent orateur : « dans cette incertitude ' ayant perdu la sécurité
de sa position, ayant perdu cet ensemble d'honneurs qui lui étaient
rendus spontanément par toutes les consciences, attaquée, menacée,
sur le point de périr, elle restait impassible. »
   M. Baudrier en souffrait aussi cruellement, mais sa douleur
était contenue, et jamais on ne put surprendre sur ses lèvres
même un murmure contre les grossières avanies de journalistes
à gages ou d'affamés de places, auxquelles de dignes magistrats
étaient lâchement abandonnés. Rien ne pouvait donc dans son lan-
gage et dans son attitude donner lieu à un prétexte sérieux pour
le renverser de son siège. Même, on lui avait fait entendre, pendant



   ' Le pouvoir a ouvert, à un jour donné, un concours entre tous les délateurs
promettant d'accorder une destitution à qui, de Dunkerque à Marseille, saurait,
accuser le plus haut. Comme en ces étranges carnavals du moyen âge où la ville
appartenait, pendant douze heures, à la folie, toutes les diffamations, tous les
outrages envers les magistrats ont été licites. Il n'est pas de passion qui n'ait eu
libre carrière. Tout a été permis. Pour repousser les assaillants, les magistrats ne
faisaient appel à aucune de leurs forces, ne se servaient d'aucune des armes de leurs
adversaires. L'action du, ministère public était inerte, (il. Picot, p. 38).