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110 LA REVUE LYONNAISE chemin d'un monde meilleur, pour les remplacer par des drôlesses suivant l'expression bien juste d'un homme très éminent. Ces drôlesses y font ripaille avec le vin et les vivres, battent le malade qui se plaint, ou dans les hospices desservis par des laïcs, n'en a-t-on pas vu plus d'un abuser horriblement des idiotes sans défense... Le jour est donc fatalement prochain où les hospices dépouillés et volés au nom de la solidarité sociale se fermeront devant le malheureux ou ne seront qu'un lieu de débauche pour les prétendus servants des pauvres. 11 n'est donc pas sans intérêt de dire aux masses ignorantes et indifférentes encore à ces spoliations ce que furent nos hospices, à l'origine, de quelle source coule l'aumône qu'elles y reçoivent, de quel amour et de quel dévouement désintéressé les entourent ces saintes femmes penchées sur le lit de douleur du malade. M. Henri Batault, avocat, et l'un des écrivains les plus sympathiques de la Bourgogne, a entrepris cette noble tache en ce qui concerne les hospices anciens et actuels de Chalon-sur-Saône. Ces hospices y ont été établis dès les premiers temps du christianisme, ainsi que dans toute la Bourgogne ; les évoques semblent en être les fondateurs et M. Batault cite, entre autres, les Hôtels-Dieu ouMaisons- Dieu d'Autun, de Mâcon, d'Avallon, de Beaune, de Troyes et d'autres villes. Toujours la charité privée est venue au secours de ces maisons dont les besoins cependant étaient parfois énormes par les grands fléaux qui, à certaines époques décimaient nos populations, comme la guerre, la famine et la peste ; mais la fol était vive alors, et rien ne lui était impossible. En donnant aux pauvres, on savait donner à Dieu; le nécessaire ne leur manqua donc jamais ; les sœurs qui succonT baient dans ces jours de désolation où parfois, le courage faiblissait chez les plus forts, étaient remplacées de suite par d'autres sœurs non moins dévouées, de même que dans un jour de bataille le soldat expose froidement sa poitrine à la mitraille, à la place du soldat fauché par la mort et tombé devant lui au premier rang. M. Batault n'a rien négligé dans cette belle étude, et il a consacré surtout les pages les plus émouvantes à l'histoire de la fondation, en 1519, du Grand Hôtel-Dieu actuel de Chà lon. Les temps étaient bien tristes alors ; les armées de François I er et de Charles Quint saccageaient nos provinces, sans pitié, et voici le tableau que François I e r dût faire lui-même de leur douloureuse situation dans l'édit par lequel il demanda aux Chalonais leur concours pour la création de cette maison : « Et que depuis peu de temps avons sceu et entendu la cité de Chalon et la plus grande partie de tout le duché de Bourgogne, pour le cours des mauvais temps, et les guerres et gendarmeries étant ordinairement en ces contrées par plusieurs ans, grandes meslées de famine et diverses autres pestes, épidémie, maladie grieve, avoir esté affligée de manière que grands nombres des deux sexes, tant estrangers, pérégrins que autres pauvres misérables personnes passant par ce lieu là , de diverse partie du monde y affluant, destitués de parents et amis, et demeurant enterrés par les chemins et fossés, champs et lieux, sans confession ni réception des saincts sacrements, soient misérablement décédés et dévorés des chiens et autres bêtes féroces comme bestes. » Les Echevins de Chalon ne furent pas sourds à cet appel de leur roi, à leur compassion et à leur charité. Il mirent la main à la bourse et le grand hôpital de Chalon se trouva fondé et doté ; des économes sous la vigilante surveillance de la ville administrèrent sa fortune, et des Sœurs de l'ordre de Sainte-Marthe, dirigées par une Maîtresse, se consacrèrent aux soins des malades et des pauvres. « Cette administration, encore toujours la même aujourd'hui, dit avec justesse M. Batault,