page suivante »
FBLIBRIGE 95 Et la mer aux flots bleus, la mer harmonieuse, Sur le rivage d'or où depuis cinq cents ans L'à me de la Provence était silencieuse, Se tut, pour écouter un chœur de paysans ! Si populaire cependant crue soit son idiome, sans une littérature qui en arrête incessamment la forme, il est condamné à périr. Des troubadours aux félibres, la chaîne est interrompue des conteurs et des poètes qui ont préservé de la corrup- tion, pendant trois siècles, celte glorieuse langue d'oc tombée, un jour, des mains du chevalier aux mains du pâtre et du marin. Certains de ces auteurs, comme Saboly, le La Fontaine provençal et l'abbé Favre, le Scarron du Languedoc — qui célèbre en ce moment le centenaire de sa mort — sont demeurés l'unique pâture inlellectuelle des paysans. D'autres, à côté d'eux, aussi grands mais moins populaires, restent lus et admirés de tous les lettrés du Midi. lit maintenant, Messieurs, je vous le demande, reprenait M. P. Mariétou, n'avions- nous pas le droit de qualifier de littérature un mouvement qui a cette envergure et celte profondeur?... La sève l'élibréenne a pénétré jusqu'aux plus lointaines extré- mités du pays d'oc, et là où elle n'a pas produit encore des poètes de génie comme Mistral et Aubanel, en Provence, comme Langlade en Languedoc, comme Joseph Roux en Limousin, ou de grands prosateurs tels que Roumanille et la Sinso, elle a, du moins, rencontré des hommes d'assez de patriotisme et de cœur pour habituer le peuple à ce*'. idée qu'il pouvait ne pas jeter aux orties une langue qui reflétait ses moeurs et sa beauté. L'œuvre du félibrige, Messieurs, est donc basée sur le peuple et sur lui seul. Je sais bien qu'on n'arrivera pas à faire à la langue provençale, par ce temps d'unita- risme à outrance, un meilleur sort que celui qui attend la plupart des langues de l'Occident, que toutau plus pourrait-elle aspirer, dans un siècle, à demeurer l'idiome littéraire d'un pays qui l'envoyait jadis civiliser l'Europe par la voix de ses trouba- dours. Mais le félibrige restera longtemps encore l'œuvre populaire qu'il était à son commencement. Mistral lui-même, ce grand et généreux artiste, par son spiritualisme pur de tout alliage et son profond amour du peuple, est le démocrate idéal. C'est qu'il se sent peuple lui-même et prédestiné à une œuvre de peuple : laisser à l'homme de la nature sa langue, instrument naturel ! Il y a cinquante ans, Messieurs, lorsque Paris faisait à Jasmin le triomphe qu'il renouvelle et décuple aujourd'hui pour Mistral, on ne parlait que d'une langue ex- pirante qu'un poète faisait vibrer pour la dernière fois. Les 1800 félibres et les trois mille ouvrages provençaux parus depuis Irente années seulement sont une éloquente réponse à ceux qui croient tuer d'un mot l'idiome de plusieurs provinces et de plu- sieurs siècles. La France est seule à peu près en Europe, à posséder vraiment une littérature — et voilà que nous lui en découvrons deux! Elle existe donc encore, Messieurs, cette vieille langue provençale, puisque vous êtes venus l'applaudir et que je vous entends déjà répéter avec nous, comme le cata- lan Balaguer : Morta diuen qu'es. Mai jo la crech viva! Ils avaient dit qu'elle était morte, — mais nous voyons bien qu'elle vil! Suivait la lecture des prix accordés à M. LIEUTAUD pour son travail sur les an- ciens poètes provençaux Goudelin et Belaud de la Bellaudière, à M. LAURÈS,