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— 545 — Autre anecdote de Chenavard sur Delacroix : Je n'enfiniraispas si je vous racontais tout ce que je sais sur Delacroix, mais voici une bonne histoire. Il avait son atelier au premier, sur le même carré qu'une maîtresse de pension. Un jour, une dame, accompagnée de sa fille de quinze ou seize ans, se trompe de porte et sonne chez Delacroix. Elle lui explique qu'elle vient mettre sa fille en pension. Delacroix se donne pour le mari de l'institutrice, prie la dame d'attendre quelques minutes et va ouvrir la porte qui séparait son antichambre de son atelier. Par cette porte, la dame aperçoit une grande bellefille,debout sur une table, toute nue et trois ou quatre rapins qui la pourtraicturaient. La dame, effarée, se lève et demande à Delacroix : « Monsieur, qu'est- ce que c'est que ça i Comment i Qu'est-ce que cela veut dire i ». Delacroix lui répond très posément : « Madame, c'est une de nos demoiselles qui n'a pas voulu apprendre sa leçon comme il faut, alors nous l'avons mise en pénitence, comme vous voyez ». Guichard rejoignit bientôt à Paris son ami Chenavard, puisqu'il entra en 1827 dans l'atelier d'Ingres. Il fit partie du clan de « la Bohême » et fut, dit-on, avec son compatriote Lauras, un des modèles qu'Henri Murger utilisa plus tard pour son Schaunard. Chenavard, lui, était Buveur d'eau. En 1830, il combattit le bon combat pour le Romantisme et pour Hernani : J'étais à Hernani. Ce fut une belle bataille. Charlet et moi nous avions recruté pour la circonstance quarante ouvriers chaudronniers, que nous avions fait boire suffisamment, et je vous réponds qu'ils avaient de rudes battoirs! Seulement, nous étions là beaucoup plus pour le parti que pour l'auteur de la pièce, aussi V. Hugo fut-il bien attrapé. Après la pièce, il nous remerciait du zèle, du dévouement, etc., Charlet lui répondit par ce coup de boutoir : « Oui, nous avons tapé tant que nous avons pu, mais la pièce ne vaut pas le diable, n'est-ce pas i » — Victor Hugo reste interloqué — « Oui, ça ne vaut pas cher, c'est des paillettes cousues sur un torchon ». Chenavard n'aimait pas Victor Hugo. Il lui reconnaissait « un immense talent, mais un talent de versificateur », et tout en louant 1' « exécutant, une sorte de virtuose poétique », il déclarait n'avoir aucune estime pour l'homme, « ladre » et « poltron ». Il insiste sur sa « paillardise » et ne se montre pas plus tendre pour sa « maîtresse en titre, la nommée Juliette ». m Trois ans après Hernani, en 1833, Chenavard débute au Salon de Paris avec un tableau d'histoire, la Convention nationale, et, à propos de cette toile — son premier déboire d'artiste — il se fait présenter à M. Thiers : Voici comment j'ai fait la connaissance de Thiers. Je venais de finir mon tableau de la Convention, où j'avais représenté Marat causant avec Philippe-Egalité. Des membres de