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308 AGNÈS DE MÉRANIE. comme Phèdre, dans la tragédie de R a c i n e ; c'est sur elle que repose tout le mouvement du d r a m e , tout l'intérêt de l'action ; c'est elle qui nous émeut , qui souffre , espère , prie , qui lutte , qui se dévoue , qui meurt. Philippe et le légat ne représentent ici que les deux pouvoirs opposés , que les deux ins- truments de la destinée entre lesquels se débat celte douce victime vouée en holocauste à la puissance de la raison et d e l à loi. Nous voyons d'abord la jeune reine au milieu de son bonheur , entourée de toutes les séductions de la fortune ; puis , par un revers soudain , nous la re- trouvons dans un abîme de douleurs et de misère. L'interdit pèse sur la France. Elle est seule an fond de son palais désert. Elle voit chaque jour le décourage- ment et le chagrin envahir le cœur de son royal époux, qui s'efforce en vain de cacher l'amertume de ses pensées sous une apparence de fermeté et de calme. Elle entend à chaque instant retentir les éclats de sa colère. Effrayée, rongée par le doute, elle vient demander un conseil suprême au comte Guillaume, sorte de type chevaleresque , seul ami resté fidèle au roi frappé des foudres de l'église. Le vieux chevalier se tait. Il hésite à frapper un dernier coup dans ce cœur déjà percé de tant de douleurs. Mais Aguès déploie tous les artifices innocents de son esprit, elle essaie de le tromper , elle affecte de deviner sa sentence , elle insiste, elle supplie, elle ordonne , si bien que le comte , vaincu à la fin , laisse échapper le cri de la vérité. Quand elle lui a arraché cette dure parole : qu'elle doit s'exiler pour sauver le r o i , elle éclate en plaintes véhémentes , elle se révolte contre la cruauté de cet a r r ê t , elle défend son amour et ses enfants avec toute l'éloquence d'une mère et d'une amante. Ensuite , par un retour plein de grâce et de sentiment, elle se rappelle les joies de son ancien bonheur, e t , devant ce cher souvenir , elle sent qu'un pareil sacrifice passe la mesure de ses forces , et elle retombe dans un morne abattement. Mais elle n sondé la profondeur de sa chiite, et l'amère parole de Guillaume est tombée , comme une semence fertile, dans ce noble cœur. Tout à l'heure va venir le moine , ce représentant terrible de la fatalité , et devant cette nouvelle menace du s o r t , elle va courber le front. Elle vient confier à ce même Guillaume la sublime résolution de sa vertiu Celui-ci demeure frappé d'admiration , et s'incline devant cet effort surhumain. Mais que lui i m p o r t e n t , à elle , les généreuses paroles du comte? La v e r t u , la France , le monde sont à cette heure bien loin de sa pensée. C'est au roi seul, c'est à son nmour qu'elle s'immole. C e p e n d a n t , quand Guillaume lui fait comprendre que, pour mener à bout sa noble entreprise , elle doit désespérer Philippe par de dures paroles, et feindre d'être lassée de cette lutte éternelle contre le s o r t , elle hésite encore, elle ne peut se résigner à perdre jusqu'à la gloire de son sacrifice. Le roi paraît en ce moment. Elle veut le voir une der-