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HISTOIRE D'UNE PENDULE 457 chose rare depuis nos malheurs, mais cette fois-ci il pa- raissait y avoir quelque chose de pis qu'à l'ordinaire. J'entendais distinctement débrayants sanglots, presque des hurlements : je restai comme pétrifiée sur ma chaise : il me semblait que si j'allais au dehors, quelque horrible spectacle dût se présenter âmes regards. Cependant, pen- sai-je enfin, qui sait si l'on n'a pas besoin de moi, qui sait si Jacques... Jacques était bien loin pourtant, je ne l'igno- rais pas, mais est-ce que la terreur raisonne ? Je gagnai ma porte en chancelant, je l'ouvris et que vis-je ?.. Pierre Lirchu, les yeux bandés, les mains garrottées, tenu en joue par deux soldats prussiens et poussant les sanglots dont je vous ai parlé. Emue de compassion, je me préci- pitai en avant, mes mains suppliantes levées vers les sol- dats : — Arrêtez, grâce, grâce, m'écriai-je en allemand, ce n'est qu'un enfant, que vous a-t-ilfait? Ils ne semblaient pas d'abord m'entendre, mais mes supplications redoublant, ils relevèrent leurs fusils. Oh ! continuai-je, comment pouvez-vous vous en prendre à un enfant ? Vous n'avez donc pas de mère, vous n'avez donc pas de fçère ? Qu'a-t-il pu faire qui mérite la mort ? — Ce qu'il a fait ! le mauvais drôle, vociféra celui qui paraissait être le plus courroucé, il nous a volés. — C'est de bonne guerre, nous sommes en guerre, gémit Pierre Lirchu. — Tais-toi, misérable, si tu n'es pas mort tu le dois à cette brave femme, sans elle... et il désigna son fusil du regard, mais ce ne sera pas long. — Grâce, grâce, criai-je, cria Pierre Lirchu, crièrent les quelques habitants du village ameutés par le bruit. — Grâce, c'est facile à dire, reprit le farouche soldat ; à la rigueur, vu son âge, on pourrait lui faire grâce, mais il faut qu'il paie rançon. » y