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                         L'ESÃÉREL                   •   61

très, léopardés de taches noires sur un fond jaune tran-
chent avec leurs voisins éclaboussés de blanc, comme
s'ils avaient été badigeonnés à la chaux par des peintres
géants ; d'autres, enfin, étendus au fond du torrent, sont
chamarrés de toutes les couleurs possibles, depuis le
blanc jusqu'au noir et depuis le rouge sombre du fer
chaud jusqu'au vert tendre des lichens.
    Au fond de cette vallée, nous nous voyons entourés d'é-
croulements gigantesques qui semblent nous menacer de
leur chute, suspendue, dirait-on, momentanément pour
nous laisser le temps de traverser ces solitudes en les ad-
mirant; des arbres se tordent sous l'étreinte de ces blocs
granitiques qui les écrasent et semblent vouloir les soule-
ver sur leurs branches impuissantes. C'est l'image d'un
effondrement général où une végétation luxuriante le
dispute aux rochers amoncelés dans les profondeurs de
l'abîme ; de tous côtés, c'est le spectacle d'un chaos in-
descriptible. Il semble qu'après nous tout doive s'écrouler
et que la fuite soit le seul salut.
    Mais je vois que la plume est impuissante à donner une
idée juste de ces infernales beautés, et que, quelle que
soit l'encre dont on se serve, il est impossible de rendre
l'impression ressentie en face de ces sublimes et admira-
bles horreurs dont nos yeux restent éblouis.
    Malgré nous, à tous les pas, nos exclamations mu-
tuelles se succèdent et notre admiration toujours crois-
sante n'a plus d'expressions possibles. Enfin, arrivés au
plus profond de ces solitudes, nous nous établissons sur
un mobilier de rocher qui nous constitue une salle à
manger plus grandiose et plus pittoresque qu'aucune.
 Pour notre appétit, stimulé par toutes ces beautés, et
 aussi, il faut bien le dire, par trois heures et demie de
 pénible marche, dans des sentiers qui sont loin d'être