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290 SOUVENIRS D'UN GAMIN
ces gigantesques cavaliers, avec leurs casques de cuir noir
surmontés d'uneénormechenillejaune, et leurs cuirasses
noires, s'arrêtant,comme des statues équestres,pour for-
mer une barrière qui semblait impénétrable ; une foule
de curieux, de femmes et d'enfants fuyaient devant eux,
lorsque, pour ainsi dire instantanément, un escadron de
gendarmerie débouche du faubourg de Vaise et arrive
comme la foudre contre cette barrière vivante qui s'é-
branle à son tour. Un choc mêlé de cris, de détonations
et de bruits indicibles se produisit avec une rapidité telle
que toute description en est impossible, et presque aussi-
tôt nous voyons tous ces cavaliers, dont les dos blancs
se courbent sur leur chevaux, disparaître dans un tour-
billon aussi spontanément qu'ils avaient paru.
Vous devez juger si nos professeurs nous poussaient
à gravir la montée de la tour de la Belle-Allemande ;
mais ni les bourrades, ni les coups de canne ne parve-
naient à nous ébranler : nous voulions voir. — Filez
filez ! malheureux, nous criaient les artilleurs en nous
menaçantdeleursécouvillons ; mais rien ne faisait : nous
voulions voir.
Une foule grossissante de blessés et de fuyards de
toutes armes envahissait le plan de Vaise évacué par la
cavalerie autrichienne; un po'nt de bateaux avait été éta-
bli à la place qu'occupe aujourd'hui le pont de la Gare,
les fuyards s'y étaient jetés ; il était couvert d'une foule
compacte de femmes, d'enfants, de blessés poussant des
clameurs sans nom. Il était tellement encombré et obs-
trué par la foule qui se trouvait sur la rive opposée du
côté de Serin que toute circulation était impossible, lors-
qu'un officier du génie, que je vois encore, tirant son
épée cria, d'une voix à dominer les hurlements de la
foule : Rompez le pont ! aussitôt vingt sapeurs coupent