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408 LA REVUE LYONNAISE populaire. Il y avait de l'orage en l'air ; les muscles étaient tendus et on cherchait l'ennemi. Les sollicitations recommencèrent plus ardentes, et Mazoyer mit l'hymne des Marseillais en grec. « Je traduisis la reine des chansons en vers grecs doriens rimes. (Chanson est-il bien le mot pour désigner l'héroïque messénienne ?) Il serait difficile de décrire la satisfaction et la joie qu'en eurent ces respectables guerriers, vieux débris de 89. Ils me remercièrent infi- niment (je le crois bien); puis se donnant des festins réciproques et somptueux où j'étais convié (c'était bien le moins), ils n'y chantaient d'autre hymne que la Marseillaise, tantôt en français, tantôt en latin, tantôt en grec. O h ! que de toasts portés à la liberté, au drapeau tricolore, à l'honneur français, au grand homme ! J'ose avancer ici que ce sont les plus beaux et les plus heureux jours de ma jeu-^ nesse ! » Mais tout passe et tout lasse, dit la sagesse des nations. Les bonheurs les plus vifs sont les plus courts. A Saint-Vallier, comme ailleurs, les esprits se calmèrent; l'un s'en fut à sa vigne et l'autre à son moulin ; on délaissa le club, et on finit par ne plus chanter là Marseillaise ni en grec ni en latin. Que se passa-t-il alors ? Au pen- sionnat, les études avaient-elles été négligées ? Les ennemis de Mazoyer, les jaloux firent-ils expier à notre jeune poète un instant de gloire et de triomphe ? Fut-il remercié de sa place ? Fut-il las et mécontent de la petite ville où on ne le chantait plus ? Se crut-il de taille à jouer un rôle sur une plus grande scène? Quoi qu'il en soit, volontairement ou involontairement, il quitta Saint-Vallier et vint s'établir à Lyon. Il voulait, dit-il, dans une de ses notes, « étudier la Révolution dans une grande ville. » Il ne pouvait tomber mieux. Lyon était une fournaise où tout était en ébullition, sans qu'on sût ce qui allait sortir des hommes, des choses et des événements. Être gouverné par les plus capables et les plus dignes, en dehors des-privilèges de la naissance; voir là loi au-dessus du bon plaisir, a toujours été le but des esprits généreux. Mais à côté des gens sensés, qui voulaient donner au gouvernement la possibilité de s'asseoir et qui atten- daient le progrès du temps et de la liberté, grouillaient les ambi-