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3^4 LA REVUE LYONNAISE semiche était blonde et blanche, et il me semblait qu'il eût été doux d'apprivoiser cet oiseau un peu emmalicé. Mais voilà , chez les Brisemiche, l'on n'a jamais ri. Tout s'y prenait au sérieux, par le côté grave. Enfin, quoi, c'était une maison où l'on avait toujours le visage en long, jamais en large. Or, c'est plus fort que moi, je n'ai jamais pu vivre avec des gens qui n'ont pas de temps en temps le visage en large. Mon oncle Cadet me comprenait, qui avait l'habitude de dire que le rire est ce qui coûte le moins et ce qui fait le plus de plaisir. Puis à cette époque, ce n'était pas comme à présent. Le parti Brise- miche tenait le haut du pavé. Si on l'eût houspillé, persécuté, comme aujourd'hui, il n'y a guère à douter que, par sympathie pour les persécutés (on verra tout à l'heure jusqu'où cette sym- pathie me conduisit), M"e Brisemiche ne fût à cette heure ma femme. Mais en ce temps-là la République n'existait pas, et MIle Bri- semiche ne devint pas ma femme. D'ailleurs, entre nous, je crois qu'on me l'aurait refusée. * * * Fin de compte, on me présenta à la famille Blanchinet. Celle-ci était encore une excellente famille, très pieuse aussi, mais où la dévotion n'avait pas le caractère jugement dernier de celle de la famille Brisemiche. On y plaisantait au contraire beaucoup, mais on y avait la plaisanterie simple, primitive, sans fiel, et qui revêtait volontiers le caractère ecclésiastique. Par exemple, on racontait qu'en faisant faire à un enfant la lecture à haute voix du récit d'une visite pastorale du Cardinal, on était arrivé à ces mots « la béné- diction de S. E. » L'enfant s'arrêta, ne comprenant pas l'abré- viation. Lis « de Son Éminence », lui dit-on. Le lendemain, lec- ture de la description d'un naufrage : « Le navire était ballotté par les vents de S. E. » L'enfant, qui avait bonne mémoire, de lire : « ballotté par les vents de Son Éminence », ce qui faisait rire tout le monde aux larmes, y compris M1Ie Blanchinet. Dans cette bonne famille, la vie aurait été assez douce. Mais je