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176                        LA REVUE LYONNAISE

             Que sert un haut dessein, puisqu'il faut qu'on l'étalle
             Aux yeux de tous venans, au milieu d'une halle?
             Le conseil éventé nuit à cil qui le prend,
             Et le chef peu secret n'accomplit rien de grand.
             Le populaire état est une nef qui flotte
             Sur une vaste mer, sans nord et sans pilote,
             Un conseil composé de mille esclaves rois,
             Où l'on ne pèse point, ains on nombre les voix ;
             Où propose le sage, où l'imprudent dispose ;
             Une foire où l'on met en vente toute chose ;
             Un détestable égout, où les plus mal famés,
             Imprudents et brouillons, sont les plus estimés ;
             Un parc qui n'est peuplé que d'effroyables bestes,
             Un corps ainçois, un monstre horrible à mille testes


    Du Bartas veut une monarchie tempérée. Il traite un roi absolu
de « chat-huant qui fuit le soleil des Diettes, Estats et Parlements. »
    Au reste, du Bartas a trouvé dans ces derniers temps un vigou-
reux défenseur, et nous nous bornerons à renvoyer à l'intéressant
ouvrage de M. Pellissier (1) ceux qui voudront en savoir plus long
sur l'éminent écrivain auquel notre poète vivarais osait s'attaquer.
Remarquons, d'ailleurs, que Gamon parle toujours de lui avec un
respect que nul n'est en droit de suspecter, et M. Pellissier nous
paraît manquer d'équité, quand il dit que, « malgré ces semblants
d'égards, l'ouvrage de Gamon n'est guère qu'un long réquisitoire
contre l'auteur des Semaines, sur le tombeau duquel, comme l'écrit
d'Aubigné, il vouloit picourer quelque gloire. »
    Dans la préface de la Semaine, Gamon se réjouit d'avoir « éveillé
les esprits la plupart endormis des vaines chansons de l'amour. » A
ce point de vue, il continuait du Bartas, qui avait autant brillé par la
sévérité que par l'éclat de son talent, et dont les allures puritaines
avaient résonné dans le public lettré de son temps, comme une écla-
tante protestation contre les licences des poètes de cour. En sa qua-
lité de huguenot, Gamon est surtout moraliste, comme du Bartas,


  (1) La Vie et les Å’uvres de du Bartas, par Georges Pellissier, professeur de
rhétorique au Lycée de Nancy. Paris, Hachette, 1883.