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lé                       LA REVUE LYONNAISE

langue est trop méthodique, trop pauvre, trop froide, pour se prêter
à l'enthousiasme. Qu'est-ce qu'une poésie sans images, une versi-
fication sans harmonie ? Nous avons des beautés nationales. Nous
n'en avons point qui appartiennent à tous les temps et à tous les
lieux. Aujourd'hui, on ne lit presque plus le vers. Et, s'il faut croire
M. Fontenelle, qui a été longtemps témoin des progrès de la raison
humaine, dans cent ans on n'en fera plus. La rime, qui charmait
l'oreille de nos pères, fatigue la nôtre. Nous commençons à sentir
combien il est inutile de cultiver un art auquel la mécanique de
notre versification et la timidité de notre langue ravissent le carac-
tère musical et pittoresque dont il ne saurait se passer. Dans lequel
de nos poètes trouve-t-on Y os magna sonaturum et le ut pictura poesis
qu'exige Horace? Les étrangers, qui lisent avec délices Virgile,
Homère, ne lisent qu'avec dégoût nos meilleurs vers. Corneille et
Racine leur plaisent, non comme poètes et versificateurs, mais
comme esprits supérieurs dans l'art d'exciter les passions par la seule
force delà vérité. Ils leur plairaient davantage, s'ils étaient dépouillés
de ce retour des mêmes sons, dont le vice, un instant dérobé par la
beauté des sentiments, des pensées, des situations, reparaît bientôt,
toujours accompagné de l'ennui. »
  Il est assez curieux de retrouver une pensée analogue chez un des
plus grands maîtres de la littérature poétique à notre époque. Voici
ce que dit Lamartine, au livre XII de ses Confidences :

   « L'abbé Dumont, ainsi que plusieurs des hommes supérieurs
que j'ai le plus connus et le plus aimés dans ma vie, ne goûtait pas
les vers. De la parole écrite, il n'appréciait que le sens et très peu la
musique. Il n'était pas doué de cette espèce de matérialité intellec-
tuelle qui associe, dans le poète, une sensation harmonieuse à une
idée ou à un sentiment, et qui lui donne ainsi une double prise sur
l'homme par l'oreille et par l'esprit. Il lui semblait, et il m'a souvent
semblé plus tard à moi-même qu'il y avait, en effet, une sorte de
puérilité humiliante pour la raison dans cette cadence étudiée du
rythme et dans cette consonnance mécanique de la rime qui ne
s'adressent qu'à l'oreille de l'homme, et qui associent une volupté