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UN ENFANT DE CHOEUR. 485 donner les ordres nécessaires, car le véritable gouverneur était depuis longtemps sourd et paralytique. Gianetta était immobile sur sa chaise ; sa pâleur était effrayante. Tout à coup elle se leva avec un geste désespéré, sortit du palais, suivie parles regards étonnés des domesti- ques, ettraversaen courant les rues de la ville. Elle était en négligé du matin; ses cheveux, dénoués par l'agitation du mo- ment, se répandaient au hasard sur son cou et sa poitrine; ses pieds étaientchaussés dans des mules de maroquin qu'on por- tait alors dans l'appartement, elle vent faisait voltiger derrière elle les bouts de sa ceinture sans agrafle. Elle se dirigea d'un pas ferme vers l'Ecole de Liège, entra dans les cours, puis on la vil passer devant les fenêtres du corridor qui con- duisait à la chambre de notre musicien. La porte en était ouverte : il était assis devant son piano, absorbé par l'im- provisation la plus chaleureuse, Gianetta resta un moment sur le seuil; mais alors l'excès de l'étohnement, et" peut-être aussi l'excès de la joie ravirent a la jeune femme les forces que l'exaltation du désespoir avait soutenues jusques-la, elle tomba sur un fauteuil. Le compositeur ne l'entendit pas; il était dans un de ces moments où l'âme de l'artiste, fortement oppressée par les passions qui l'agitent, trouve, dans l'art qu'il cuUive,le sou- lagement et tout a la fois l:expression de la souffrance. La pensée sur ses ailes d'or le transportait au milieu de cette nuit pleine de joie et de douleur naïve, où, couché sous le portique de la cathédrale de Liège, il portait sur ses genoux lablonde tête de Jeannette endormie; comme un poète qui chante ses douleurs dans ses vers, il empruntait au piano la voix qui racontait ses souffrances et ses joies passées. Son thème était le chant du motet Laudalo, pueri, Dominum : au-dessous de ce -thème qui dominait toute l'improvisation, la main gauche qui jouait la partie basse rappelait les hurle-