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UN ENFANT DE CHCEUR, 483 solennité' ; il était en compagnie de sa femme, jeune blonde au teint de lait, aux yeux doux et purs, qui s'était distin- guée des dames romaines en n'acceptant pas d'autres Sigisbé qu'un petit vieillard original, amateur passionné de la musique et des musiciens, dont sa fortune le rendait le protecteur : mais bientôt l'enthousiasme saisit le peuple si impression- nable des théâtres d'Italie, puis il gagna les loges, et tandis qu'ici on faisait entendre un murmure de satisfaction, là on poussait des cris, des exclamations frénétiques; on marquait la mesure de la main et du corps, et dans son admiration ex- pansée, chacun des petits bourgeois de Rome présents au spectacle, essayait de suivre, en chantant, une mélodie qu'il entendait pour la première fois. Enfin., cette verve intérieure qui tourmente les natures méridionales jusqu'à ce qu'elle trouve une issue, s'épancha dans un cri universel de bis , après une brillante cavatine du ténor. Suivant l'usage, l'au- torisation de répéter un morceau devait partir de la loge du gouverneur, qui agitait un mouchoir blanc. En effet, ce seigneur se réveilla en sursaut, juste au moment de don- ner le signal; il porta la main à sa poche, mais il n'en re- tira qu'un foulard de couleur sombre. Ainsi que tous les gens de cour de l'époque, monsieur le gouverneur faisait un grand usage de tabac, et un grand étalage de sa tabatière d'or, enrichie de diamants. Il s'empara donc du mouchoir brodé de sa femme. Quel fut son étonnement ! ce mouchoir était trempé de larmes ! Pendant que le mari, stupéfait, re- gardait les yeux rougis de sa compagne, on reprit l'air, et, furieux de voir méconnaître ainsi son autorité, il s'écria d'un ton d'humeur : — Eh ! mon Dieu, Madame, comme vous êtes sensible à l'insipide musique de ce compositeur si jeune ! Il a fait ré- péter le morceau sans ma permission; par le ciel, il paiera l'amende !