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302 DE LA. PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE. suit, tout cela est une dépendance du même mystère. La Providence suit la liberté comme l'ombre de celle-ci, ombre épaisse à nos yeux mortels, mais qui déguise des splendeurs que nos yeux ne sauraient supporter. Sur cette ombre sainte de notre liberté, que ne laissons-nous sans peine flotter nos ignorances !... Quoi qu'on fasse, les deux extrémités de la chaîne des temps tiendront toujours suspendue dans le vide la philoso- phie de l'histoire. D'une part, on ne percera point l'obscu- rité des commencements ; d'autre part, on ne dissipera pas non plus l'obscurité de la fin. La nuit du passé dérobe à la connaissance précise de l'histoire tout ce qui est relatif a la naissance des races, des langues, des croyances, des so- ciétés. Dans cette anliquité, tenue a bon droit pour sacrée, nous comparerions volontiers le genre humain au pieux Jo- ghui, que le poème indien de la Sacontala nous représente comme perdu depuis de longues années à la même place dans la contemplation, immobile, les bras entrelacés de plan- tes touffues et de rameaux noueux, les reins entourés d'un serpent qui lui tient lieu de ceinture sacerdotale, le corps a moitié couvert d'argile, et qui semble ainsi ne plus distin- guer sa forme humaine du reste de la nature. Autant les commencements de l'histoire nous sont impénétrables, autant sa fin défie de même l'essor de notre vaine curiosité. Dieu, qui ne nous a pas admis dans ses conseils, ne nous a pas donné de découvrir le but qui doit terminer la marche de l'histoire. C'est la une partie de l'ensemble des causes finales dans la création de l'univers : c'est le secret divin dont le sceau a été souverainement apposé sur les essences et les causes. Or, quand les choses sont à ce point, quand nous ne pouvons savoir ni ce qui commence ni ce qui finit, comment nous flatterions-nous de pouvoir arriver, avec les caractères de la certitude scientifique, a la connaissance complète de la