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                 HISTOICE D'UNE PENDULE                   459

francs si vous l'exigez, je les demanderai, je les emprun-
terai. Vous prendrez un meuble, des marchandises...
   — La pendule, la pendule, vous dis-je, ou il est mort.
   — Arrêtez, vous l'aurez, venez, attendez, je vais la
chercher.
   La mère Lirchu se jeta à mon cou, les liens de Pierre
furent coupés et à l'instant il exécuta une grotesque sa-
rabande qui, je vous l'affirme, ne me donna nu'le envie
de rire.
   Peu après, les soldats emportaient ma pendule de fa-
mille, le cadeau de mes tantes, l'héritage de mon pauvre
Jacques, qui comme moi l'aimait tant.
   Je me dérobai à la reconnaissance de Jeanne Lirchu,
aux compliments des autres, et, rentrée chez moi, "ac-
croupie sur une chaise basse devant mon feu, la tête dans
les mains, je me mis à pleurer... h pleurer, moi, qui d'un
cœur déchiré, mais l'œil sec, avais vu entrer l'ennemi et
partir Jacques... Que voulez-vous, c'était la goutte
d'eau qui fait déborder le verre.
   Ma nuit se passa sans sommeil. Au chagrin d'avoir
perdu ma pendule se joignait celui non moins cuisant
d'avoir été trahie par quelqu'un au village où je ne me
connaissais pas d'ennemis : un soupçon traversa mon es-
prit. Qui saitj me dis-je, si Pierre Lirchu lui-même... Je
me hâtai de repousser cette pensée, car je sentais me mon-
ter au cœur un flot d'amertume et de haine. Après tout,
me répétai-je ensuite pour me calmer tout à fait, une
indiscrétion est bientôt commise, et ce méchant drôle n'est
encore qu'un enfant. Puis j'en vins à réfléchir que j'avais
trop facilement cédé à l'exigence de deux simples soldats.
Avaient-ils bien le droit de fusiller Pierre pour un mé-
fait? N'aurais-je pas dû aller auprès des chefs pour m'in-
former de ce qu'il en était ? Oui, je m'étais trop laissé ef-