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LA BATAILLE DE MÉZIB 423 l'ordinaire, l'œil plus ardent, sa large figure colorée, où se reflétaient l'audace et la joie, plus animée que de coutume, commandait le gros de l'armée, surveillait la marche des bataillons et allait de l'avant à l'arrière, don- nant des ordres brefs et clairs et semblant déjà tenir la victoire dans sa main. Les soldats, avides des moin- dres indices et des plus petits présages, essayaient de lire, dans ses yeux bleus clairs, l'apparence d'un souci, et, naïfs comme des enfants, admiraient son splendide uniforme écarlate brodé d'or, qu'il portait avec une joie si primitive et une aisance si fanfaronne, ses armes brillantes et son magnifique alezan de Syrie, orgueil des haras du Liban. Derrière lui, on contemplait ses aides de camp, son état-major brillant et le peloton de cavalerie qui le gar- dait, tandis qu'à distance suivaient, brillamment vêtus, deux cawas prêts à deviner ses volontés. L'un, Syrien de naissance, Cader aga, était un type des plus accusés de ces guerriers intrépides du Liban qu'il avait eu tant de peine à dompter; l'autre, un nègre de,'haute taille, fa- rouche, le couvrait d'un regard amoureux et jaloux, tous deux prêts à se jeter au devant de tout danger qui au- rait menacé sa vie. Pour eux, Soliman était un fétiche, une idole, un dieu. A la vue du chef, les officiers qui regardaient la ma- nœuvre de l'armée comme téméraire et compromettante, s'imprégnaient d'audace et, aussitôt, tout en jetant à la dérobée un regard sur les formidables batteries des Ottomans, poursuivaient leur marche, le cœur ferme et tranquille; quant aux soldats, allègres et riants, ils allaient sans souci, d'un pas léger, échangeant quelques lazzis avec les cawas du général, pleins d'assurance que c'était à la victoire qu'on les menait.