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VICTOR DE LAPRADE 21b droit et l'idéal, l'art et Dieu, enrôlaient sous leurs drapeaux les âmes de vingt ans. Chacune d'elles avait sa beauté préférée, liberté, nature ou poésie. Et ce retour vers le passé éveille un pieux souvenir dans l'esprit de l'ami fidèle. Un jour de juin, Barthélémy Tisseur, le mort évoqué si souvent avec tant d'âme, et Victor de Laprade, le survivant glorieux, sortaient de la grotte où Madeleine expira. Leur âme s'était ouverte a la prière dans ce lieu qui gardait encore la saveur des parfums répandus par l'immortelle pénitente sur les pieds du Christ. Au détour d'une rampe glissante, ils rencontrent une croix abattue. La laisseront- ils donc gisante dans la poussière du chemin? Non. Ils la porteront sur la montagne. Courbés sous ce pesant fardeau, ils gravissent le rude sentier au sein d'une atmosphère brû- lante. Durant trois heures, ils montent à travers les rochers jusqu'au plus haut sommet, et là , ils la plantent entre la terre et le ciel, demandant à Dieu, pour prix de cette belle action, le règne de son fils et de la liberté. Mais quel contraste entre ce souvenir et les choses pré- sentes ! Ce ne sont pas les jeunes d'aujourd'hui qui com- prendraient les enthousiasmes d'autrefois, tant ils sont dégagés Des vieilles passions el des vieux préjugés ; Tant ils font du succès leur unique chimère, Méprisant tout le reste... y compris la grammaire. A seize ans, on est positif. Le quartier latin suit les cours de la rente. On spécule, on calcule, on songe à l'avenir, Comme un bon capital, un bon cœur s'administre ; On prend pour son ami le neveu du ministre ; Mieux avisé, tel autre a choisi son bâtard.