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438                    SAINT-SAUVEUR

dehors et les voix du passé qui, durant les longues veilles,
ehantent au dedans de nous, sont certainement remarqua-
bles et mériteraient d'être étudiées. Il me semble qu'il y
aurait là matière à d'intéressantes recherches, et il serait
à souhaiter que quelque ingénieux et humoristique obser"
vateur voulût bien se donner la peine de nous indiquer
les raisons occasionnelles du fait que je constate sans pou-
voir l'expliquer.
   A vrai dire, la cause immédiate cherchée est quelque-
fois plus facile à découvrir qu'on ne suppose, et ce soir,
par exemple, en sentant une bise aigre traverser les vitres
 et arriver jusqu'à moi. je comprends très-bien que j'aie
 pu songer à ce chaud et moelleux édredon de plume que
les moines de Saint-Sauveur offrirent jadis à Guigues de
Pagan partant pour la croisade. Mais pourquoi, dites-moi,
 ai-je pensé à cet antique meuble plutôt qu'à tout autre
 de même espèce, d'origine un peu plus moderne? Voilà
 ce qui m'intrigue, à moins toutefois que je ne tente d'ex-
 cuser la bizarrerie de ma pensée par l'étrangeté du don
 fait au chevalier croisé.
  Il semble, en effet, qu'on ait le droit de se demander
quel usage un seigneur en partance pour les Lieux-Saints
pouvait faire à'una coltra de pluma folla, autrement dit
d'un édredon? Si je me rappelle bien ce que vous me
contiez à ce sujet, Guigues de Pagan était seigneur de
Bourg-Argental, et ses armes, d'or au lion d'azur, se
voyaient autrefois au-dessus de la principale porte de
cette ville. Il accompagna Philippe-Aug-uste à la troisième
croisade, en 1190, et avant de partir, il fit donation au
prieuré de Saint-Sauveur des terres de Montgilier et
d'Aiguebelle, avec divers droits de cens aux environs du
prieuré. En échange, les religieux lui remirent la somme
de vingt-quatre livres viennoises, un mulet de la valeur