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                                     §99
 Si nous n'avons pas la colonne Vendôme, nous avons déjà Napoléon à noî
portes. Si Paris a le Capitole, nous avons le Journal du Commerce que vient de
 métamorphoser en grenadier de l'île d'Elbe M. Barginet de Grenoble. Si nous
n'avons pas un parti de plus, nous en avons du moins l'organe : vox cla-
mantis in deserto. Si Paris a ses Belles Femmes, nous avons les nôtres. Mais
ici, tout le scandale est dans les initiales; car rien déplus parfumé, déplus
mielleux, de plus llatté que le portrait de chacune de ces dames. On croirait
lire les épitaphes du cimetière de Lovasse. Le daguerrotype soumis à noire
amour propre ne ferait pas mieux, je vous l'assure. Et vous savez si les épreu-
ves de cet admirable instrument sont exactes et fidèles. Si vous n'en avez pas
encore vues, courez vite chez Charasse, DurandouChevaliev. Ces messieurs se
font un plaisir de satisfaire la curiosité publique.
    — Voici l'hiver! et avec lui des jouissances en foule! M. Provence nous
promet force nouveautés, de brillants bals et une troupe italienne pour qua-
tre mois.
    Nous avons entendu un improvisateur italien, que dis-je ! un vrai poète, qui
 nous a, dans une séance de trois heures, captivé par la seule puissance de
son poétique langage et l'éloquente expression de ses traits. C'est un vé-
ritable triomphe pour M. I. Regaldi que d'être parvenu à intéresser aussi vi-
vement un auditoire français , peu versé dans cette belle langue qu'il parle,
qu'il chante si bien. Tous les sujets, tirés au sort, ont été fort habilement
iiemplis et plus d'un morceau a eu les honneurs du bis; tour de force, selon
 nous, plus fort que l'improvisation elle-même. Une seconde et dernière séance
aura lieu le 2 décembre. Qu'on ne manque pas à ce rendez-vous donné par
M. Regaldi.
    Les cours de nos Facultés sont enfin rouverts. Chacun de nos professeurs-
est revenu à son poste. M. Bouillet vient enseigner la Philosophie. Paris nous
 laisse cette année encore M. Edgar Quinet. C'est une bonne fortune ; hàtons-
nous d'en profiter. A propos de M. Quinet, il faut que je vous dise comment
VArtiste s'exprimait dernièrement à notre sujet. Vous verrez jusqu'où peut al-
 ler l'exgération et le ridicule de nos grands jugeurs. La province est tou-
jours la liéotie à de certains yeux. En attendant, je vous livre cet échantillon
 de badauderie parisienne :
     «Dans l'académie de Lyon on raconte des merveilles du cours de M. Edgar
 Quinet. Celle parole éloquente , hardie et convaincue , a produit le plus
 grand effet dans la ville. Deux mille personnes des deux sexes se pressaient
 chaque soir dans la vaste salle du Palais-de-Justice pour entendre le jeune
professeur, et chacun comprenait ce gu'il pouvait comprendre à ce rêve
éloquent d'un philosophe fraîchement débarqué de l'Allemagne, et qui re-
vient de l'autre côlé du Rhin toul imbu des doctrines de Kant et de Herder.
Vous sentez bien qu'au milieu de ces auditeurs d'une ville marchande et
toute vouée au commerce, il y en avait quelques-uns qui ne pouvaient
 pas comprendre tout à fait le but de l'orateur, et ce qu'il venait faire dans
celte chaire improvisée au milieu du Palais de Justice. Les uns le prenaient
 pour le prédicateur d'uue religion nouvelle ; et ils s'étonnaient de la tolé-
 rance du clergé, disant que M. l'Archevêque y mettrait bon ordre à son ar-
rivée dans le diocèse ; les autres, voyant assister à ses leçons la cour royale
 toute entière, se figuraient qu'ils assistaient aux premières et célèbres plai-
 doiries d'un jeune procureur du roi. Ace point qu'une bonne femme, en-
 tendant M. Quinet raconter avec sa véhémence accoutumée la vie redoutable
 de Frédégonde et de Brunehaut, s'est mise à dire tout haut. Voilà deux co-
 quines qui n'ont pas volé les galères et même quelque chose de plus. »
     Que vous en semble ! Voyez-vous les 2,000 personnes des deux sexes dans