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mondes, à un nouvel ordre d'êtres, et, absorbé dans mon
extase, j'entends une puissante harmonie qui se répand des
célestes sphères aux profonds abîmes. Simple enfant, je la
sentais déjà au milieu des innocents pensers du toit paternel,
et déjà, dans l'avril de mes ans, elle retentit fortement en
mon âme, lorsque je fus le malencontreux jouet des sévères
ministres de Thémis*; que, dédaigneux, je laissai la Dora,
pour courir à l'Arno et au Tibre, et qu'il me croissait un lau-
rier pour prouver du moins que je ne méritai pas tant de
honte.
   À présent que, fatigué du bruit des cités, je vais errant sur
les sommets de l'Helvétie, à présent l'harmonie d'en haut me
révèle de nobles concerts, devenus la règle de mes jours. La
villageoise qui joue, qui danse, qui mène au pâturage, à la
fontaine, ses brebis chéries, me rappelle, avec son agreste
caant, à l'âge antique si vanté, et ignorant les besoins et
la fraude, et riche d'innocence.
   Le Léman, qui tantôt caresse d'amoureux baisers ses cal-
mes et odorantes rives, et tantôt frémissant gonfle ses ondes
pour la tempête, le Léman renouvelle pour moi l'image
d'une vie abandonnée aux vicissitudes du sort. Le vaste
bateau à qui l'Anglais donna des ailes de feu brise ses flots
avec assurance, et derrière sa course rapide laisse un long et
agréable sillon tout argenlô. A peine l'admiré-je , qu'il
disparaît soudain ; j'aperçois dans ce sillon la vie fugitive
des grandeurs humaines.
    Sous le toit rustique d'un vieux pasteur, je suis accueilli
avec un sourire qui n'est point mensonger. C'est une belle
chose de le voir ! Sur la dernière heure du jour, il assemble
avec un doux regard autour d'une humble table sa pauvre

  (1) Allusion à une mésaventure de l'auteur, dans un examen à l'Université
de Turin,