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                 LETTRÉS DE SAINT-ETIENNE                  353




                                            2 mars 1843.




   Tu te trompais beaucoup, mon ami, lorsque tu m'écri-
vais dimanche soir qu'à cette heure sans doute je m'habil-
lais pour aller au bal. Je passai ma soirée fort gravement au
coin du feu dans une visite sérieuse, et qui plus est, j'appris
à jouer au boslon, ce qui est bien le jeu le plus ennuyeux
que je connaisse, avec deux vieilles dames et un gros papa.
Je pense que tu ne m'envies pas ces modestes voluptés, et
qu'il n'y a pas là de quoi me faire un sermon sur ma dissi-
pation effrénée. J'aurais bien mieux aimé jouer aux dominos
avec toi et quelques amis.
   L'esprit du monde consiste à savoir se contraindre ; à
n'exprimer de ses pensées et de ses goûts que ce qui peut
plaire aux autres, et à se résigner avec une entière complai-
sance à tout ce qui peut leur être agréable. Par là, la pra-
tique du monde est un exercice qui n'est point inutile. Il
est bon de fléchir cette espèce d'orgueil et d'égoïsme qui
est naturel à tous les hommes, par l'habitude de ces égards
dont la société n'est qu'un échange continuel. Cet exercice
est pénible, il ne va guère à la paresse. En outre, il y a des
âmes rigides qui se révoltent à la pensée que bien souvent,
par derrière ces égards et ces prévenances, il n'y a dans les
cœurs que des sentiments amers, de la vanité, du dépit,
quelquefois du mépris et de la haine. Ces personnes accu-
sent alors la politesse et les formes agréables de fausseté et
de mensonge ; elles se renferment dans leur âpre franchise