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290 LA BOUCLE D'OR la Toussaint fit rentrer en ville les parents de M. Julien, et que le beau cavalier, au cours de l'hiver, ne parut ni pour la soirée de Sainte-Catherine, ni pour celle des Rois. Et pour- tant, il est facile de comprendre combien M. et Mme Bonin, devaient être flattés des attentions de M. Julien. Il fallait « des raisons de famille » bien puissantes, s'ils ne met- taient pas tout en œuvre pour faire aboutir au plus tôt un mariage dont, après tout, leur aisance connue devait rendre la conclusion possible. Et la Garite ? me direz-vous. Que pensait-elle de ses soupirants? — Rien — ou du moins elle ne manifestait aucunement qu'elle pût en penser quelque chose. Toute jeune fille est sensible aux hommages, mais, au demeurant, elle n'en fait compte qu'autant qu'elle y sent un prélude au mariage. Or, en enfant soumis, la Garite se tient pour dit qu'elle ne se mariera pas avant trois grandes années révolues. D'ailleurs, pour la femme, l'homme est un être simple dont le type varie peu. Ce qui suffirait à expliquer et l'in- différence relative des jeunes filles quant au choix du mari que l'avenir leur réserve, et la fidélité de tant de femmes malheureuses et délaissées. Pour l'homme, au contraire, la femme est un être multiforme, dont l'espèce est variée d'une façon désespérante. Aussi, quelle fougue et quelle ténacité, lorsqu'il a cru entrevoir le type qui répond à ses désirs et à ses rêves! C'est celle-là qu'il lui faut, dût-il mourir en atteignant sa vision. A la fin de l'hiver, cet état était précisément devenu celui du pauvre Jean Michel. A la résignation avait peu à peu succédé la passion, avec tous ses emportements. Rien, pourtant, n'avait encore révélé le secret de son cœur, lorsqu'une circonstance vint le trahir.