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497 Après et avec la poésie, est venue la tradition, la tradi- tion qui passe de bouche en bouche, qui s'en va redisant la bravoure du guerrier, le nombre des ennemis qu'il a tués de sa main ; qui perpétue le nom de ceux qui furent forts, c'est- à dire bons ! Dans les temps héroïques, et chaque nation eût le sien, c'est par la guerre que se touchaient les peuples : on argumentait, on discutait avecPépée: ta prairie est plus fertile que la mienne, aux armes! tes troupeaux sont plus nombreux, aux armes! ton armure est plus polie et ton épée plus acérée, au plus fort! et le sang ruisselait, etlaterresecouvraitdeinorls, et, rentré dans sa tente, le vainqueur montrait sa dépouille à ses enfants ; le vaincu comptait devant les siens les blessures qu'il avait gagnées, et leur disait : vous serez grands un jour, vous vous en souviendrez ! PuiSj si quelque part, à l'extrémité de la terre, il y avait un peuple qui se disait puissant etroi, qui me- naçait leur liberté^ leur indépendance; si du fond de leur soli- tude ils avaient entendu le bruit des chaînes qui s'appro- chaient d'eux, si déjà leurs troupeaux avaient été pillés, leurs champs dévastés, leurs femmes enlevées, alors l'indignation murmurait dans leurs cœurs, la colère grondait dans leurs poi- trines, ils aiguisaient leurs armes, et quand ils étaient assez nombreuxils disaient à leurs chevaux, allons ! Cette transmission orale d'une victoire, d'une défaite, d'une vengeance, deuxième modificalion de l'histoire, c'est la tradition. C'est la tradition qui chanta si longtemps les douze victoires de l'invincible Ar- thur; c'est la tradition qu'Homère a inondée des flots de son im- mortelle poésie; Moïse était l'interprète inspiré delà tradition; et qu'est-ce donc que l'Edda, qu'est-ce que les Nibelungen? C'est la tradition qui arrachait Attila de ses steppes asiatiques et le poussait par delà les Alpes à la ruine d'une cité qui, depuis près de huit siècles, jetait des fers au monde ; c'est la tradition qui poussait Alaric par un instinct irrésistible au sac de la ville éternelle ; c'est la tradition que les Germains firent descendre avec eux tout armée dans les Gaules ; c'est la tradition qui faisait monter sur leurs chariots ces innombrables tribus bar- 32