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                                 s
faire abstraction de nos petites natures , nous devons sentir
avec son ame.
   Il y a deux ans à peine , Nourrit se voyait encore entouré
d'un culte si grand qu'il pût se croire un dieu ; pour lui, cette
adoration de tout un peuple devint un besoin; il écoulait dans
l'écho de sa voix les concerts d'hymnes divins ; il exaltait son
ame ; sa puissance d'impression l'identifiait avec ses rêves,
et créait de la fiction une réalité. Malheureusement les di-
vinités de ce monde suivent la loi de ce qui les entoure,
elles expirent sous un souffle. Cédant à l'un de ses indéfinis-
sables caprices, Paris déserta louUà-coup les autels de Nour-
rit, et, semblable à la vieille Egypte, il se prosterna devant
un autre homme-dieu; on pensa que tout était dit. Les ido-
les ordinaires ne sont-elles pas de froides statues , insensibles
comme le marbre dans lequel un ciseau les a taillées, et ne
restent-elles pas immobiles au milieu des flots de la foule
ainsi qu'en un temple désert?Nourrit n'était pas cette idole im-
passible que l'on avait rêvée : du moment où les voix de la
presse n'entonnèrent plus sa louange, il ne chanta plus lui-
même ; il descendit librement de l'autel et sans, malédic-
tion , sans haine, il s'arma du bâton de voyageur, et voulut
se grandir par l'absence. Comment aurait-il pu se faire que
Nourrit restât spectateur d'infidèles idolâtries? il était trop
grand pour vouloir encourir les reproches de sourde jalousie ;
il était trop fier pour s'ensevelir dans l'oubli : l'atmosphère ra-
dieuse dans laquelle il avait vécu jusqu'ici lui était devenue
nécessaire, nous l'avons dit,et tant qu'il pût marcher, Nour
rit dut suivre les dernières vapeurs d'encens. Lyon et les autres
villes de la province l'ont vu passer aussi glorieux qu'aux jours
de son culte exclusif.
   Mais cette marche au milieu des triomphes épuisait Nourrit
sans que l'enivrement des ovations le satisfit et l'étourdit. Nour-
rit avait laissé son temple derrière lui, et chaque pas qu'il fai-
sait en avant l'éloignaitde son trône. Nourrit oubliait sa gloire
pour prêter l'oreille à ces mille voix de la renommée, qui