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    €hinard fit de fréquents voyages en Italie, et vil Rome trois
fois. Il s'y trouvait à l'époque où la révolution française com-
mençait à tonner sur l'Europe. Si les idées nouvelles comp-
taient dans les classes éclairées de nombreux partisans, la
populace, en revanche, détestait les enfants de cette France
dont les armées manœuvraient à travers les plaines de l'Adige
et du Pô. Fervent républicain, l'artiste exprimait imprudem-
ment ses sympathies, et s'était lié d'amitié avec un abbé qui
faisait un bruyant éialage d'opinions philosophiques. Un jour
que, dans le secret de l'atelier, les deux amis se livraient e n -
semble aux épanchements de leurs mutuelles espérances, le
statuaire alla examiner si la porte était bien close, prit un c i -
seau, l'insinua sous la plinthe d'une statue, et soulevant légè-
rement le marbre, il lira de celte cachette un dessin où palpitait
toute la fougue révolutionnaire du moment. L'esquisse repré-
sentait le peuple français enlevant dans ses bras la Liberté-
sous la figure d'une belle et noble femme. Aux pieds du co-
losse, les génies du Despotisme et de la Superstition expiraient
renversés sur des débris de mitres, de sceptres et de couron-
n e s ; la tiare du pape n'était point oubliée. A R o m e , c'était
beaucoup plus qu'il n'en fallait pour faire pendre l'artiste.
Grande fut l'extase de l'abbé ; il pleurait de joie, il trépignait
d'enthousiasme. Quand toutes les exclamations admiratives
furent épuisées, l'esquisse retourna sous le marbre discret.
On se sépare enfin, non sans d'amicales étreintes ; puis, quel-
ques minutes après, des sbires envahissent l'atelier, marchent
droit à la statue, saisissent le, dessin, s'emparent de l'artiste,
<2l l'entraînent en prison. Une récréation, bien faite pour le
distraire, l'attendait à son nouveau logement. Le soupirail du
cachot se trouvait au niveau du sol, et la sentinelle en laissait
approcher les enfants. Ces démons, avec la malice qui leur est
familière en tous pays, prenaient plaisir à fabriquer de petites
potences qu'ils plaçaieul en vue du prisonnier, et lui criaient
du matin au soir : Voilà pour le Français ; le Français sera
 pendu! Néanmoins, ce Français, on ne le pendit pas. La