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134 AUGUSTE BKIZEÙX que l'un des trois dons du grand poète : une puissante sensibilité. Il lui manque et la puissance de la raison, ou de- la pensée, et la puissance de l'imagination créatrice. Il n'a que la raison et l'imagination nécessaires pour composer ayec art, non pas des .poèmes de longue haleine, de larges tableaux épiquesou lyriques, mais des séries de vignettes, où le dessin des figures et le relief des scènes ressortant en pleine lumière, grâce à une couleur sobre et forte. Il est plus artiste que poète, grâce à une habileté d'exé- cution, voisine du génie. Il croit que l'art ne doit pas être une copie de la nature, un miroir qui réfléchit, mais un prisme qui colore. La nature idéalisée, voilà ce qu'il poursuit dans son oeuvre. Son style poétique est très personnel et très original. Pas de procédé artificiel : la simplicité, le naturel, une par- faite ingénuité, une transparence merveilleuse. « Il réfléchit dans son flot de cristal les faits, les personnages, les scènes de la nature qui les encadre, comme les ruisseaux de Bre- tagne reflètent en leur mirpir le paysage de chênes ou de rochers qui s'étale sur leurs bords ( i ) ». Si, dans sa pre- mière manière, l'auteur de Marie a quelques nonchalances, quelques banalités, il s'en corrige bientôt par un effort sou- tenu, et arrive à la précision élégante, à la sobriété forte, qui en font un de nos bons écrivains. Volontiers, il aurait dit avec Joubert : « Je m'arrête jusqu'à ce que la goutte de lumière dont j'ai besoin soit formée et tombe de ma plume. » « Sa versification n'offre point de ces effets d'harmonie (i) Brizeux en parle mieux qu'Alfred de Musset lui-même dans des vers célèbres.