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              LÉ COMPARTIMENT DES FUMEURS                    61
fille, qu'elle avait envoyée à Londres sous la garde de sa
gouvernante et qu'elle allait retrouver, après avoir passé
quelques jours à La Rochelle, auprès d'une de ses sœurs,
mariée à un pasteur, le révérend de C... Son intention
était d'attendre en Angleterre la fin de la guerre, à moins
que le baron ne lui envoyât l'ordre de le rejoindre au cours
de la campagne.
   Pendant qu'elle me faisait ce premier exposé, je devinais
chez elle cette satisfaction légitime de la femme qui met à
néant d'odieuses allégations. Le retour qui s'opérait dans
mes idées perçait sans doute sur mon visage, car elle n'in-
sista pas davantage. Mais il restait un point d'interrogation :
comment Mme la baronne Bergier von Thaler pouvait-elle
avoir besoin de deux louis — ou plutôt de deux napoléons,
suivant l'expression employée de préférence par les étran-
gers ?
   Elle m'invita, du regard, à retirer ma valise posée sur la
seconde chaise, et, quand je fus assis, elle reprit d'un ton
presque dégagé :
   « Plus favorisée que vous, j'avais un fauteuil dans ma
chambre. Aussi, vous pensez bien que, cette nuit, je n'eus
garde de me mettre au lit; j'ai sommeillé, toute vêtue, dans
mon fauteuil.
   « Au matin, et bien qu'il ne fût pas encore cinq heures,
je commençai mes préparatifs de départ. Mais quand je pris
mon porte-monnaie, m'apprêtant à solder ma note de sou-
per et de chambre, quels ne furent pas mon étonnement et
ma honte, de n'y trouver qu'un peu de menue monnaie !
Pas une pièce d'or! J'avais donné la dernière, sans y
prendre garde, en payant mon ticket au chemin de fer.
  « J'ai bien un portefeuille suffisamment garni de bank-
notes; mais, par je ne sais quelle sotte distraction, au lieu




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