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54 LE COMPARTIMENT DES FUMEURS ture, c'est de dévisager vos voisins. Chose curieuse, dans ce compartiment réservé aux fumeurs, il y avait un être seulement du sexe masculin et quatre dames ! Celui-là pou- vait, à la vérité, compter pour deux et il en avait conscience : car il s'était approprié une stalle pour lui seul, et il s'y réintégra d'un air à bien montrer aux arrivants qu'ils eussent à se pourvoir ailleurs. Dans la stalle joignant la sienne étaient deux demoiselles — ses filles —aussi menues et rejointes que monsieur leur père était obèse et encombrant. En face, chacune dans leur coin, deux dames, dont l'une — cela sautait aux yeux — était la maman des fillettes. L'autre, ma voisine, autant que permettait d'en juger la douteuse clarté des lampes alors en usage, me parut une fort belle personne : jeune encore, trente ans environ, les cheveux de ce blond ardent qu'avait propagé la mode, le buste se profilant, harmonieux et souple, sous un cache-poussière de toile grise, une grande distinction de maintien, cette distinction native qui semble l'apanage des races aristocratiques. A l'examiner attentive- ment, peut-être un peu trop d'assurance, une façon de regarder qui ferait soupçonner quelque héroïne experte en aventures, et surtout ce parfum sut generis de la femme galante, laissant, comme à dessein, percer une pointe de fauve. Mais il était alors du meilleur ton que les grandes dames ressemblassent à s'y méprendre aux petites. Comme toujours, un silence s'était fait dans le compar- timent, après notre entrée. Mais le gros compagnon exhala bientôt ses plaintes sur la chaleur, sur les ennuis et la lon- gueur du voyage, sur la marche irrégulière dés trains. Ne trouvant qu'un très timide écho dans sa famille, il prend le parti de s'assoupir. Durel que son vis-à -vis avait particulièrement agacé, tire