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214                     VICTOR DE LAPRADE

de race se ruant à la curée, bourgeois effrayés tout occupés
à sauver leur caisse, peuple souverain renégat de la liberté,
chrétiens faisant métier de la vertu, tartufes politiques
caressant, pour mieux la tondre, la bête populaire, prêts a
tonner dans les clubs ou a saluer les trônes, selon le traite-
ment attaché à l'un ou l'autre emploi; courtisans de la puis-
sance, armés contre la faiblesse, femmes au visage et au
cœur de modistes, adoratrices du miroir et du chiffon; héros
de boudoir, allant finir dans les tripots ou entonner, aux
mauvais lieux, l'hymne du suicide. Certes, ce spectacle
n'est pas fait pour flatter le poète des déserts, et, s'il ne
peut plus remonîer vers les sommets, il se réfugiera, pour
éviter ces hontes, dans une sollitude nouvelle, sous le
toit modeste où se groupent les amours de la famille.
          Là, par un flot d'air pur mon ânie est soulevée,
          Comme sur l'Alpe vierge où l'aigle a sa couvée,
          Et les jeux de mes fils, excitant mon réveil,
          Illuminent mon cœur, clairs comme le soleil.
          Là, sur mon humble seuil, égayé de leur flamme,
          J'habite encor plus haut dans les sdmmets de l'âme ;
          Là, mieux qu'en nos déserts, j ' a i , pour monter encor,
          Pour m'approcher de Dieu, j'ai mon échelle d'or.
                                                    [Pro arit etfocis).

   Voilà une nouvelle corde que Vicior de Laprade devra
ajouter à sa lyre ; la poésie du foyer, et son œuvre où déjà
Ja nature s'étale dans sa magnificence, où respire l'âme, où
rayonnent la grande figure de la patrie et le divin sourire
du Christ, son œuvre sera complète lorsqu'on y sentira
battre les cœurs des enfants et des mères.
   Rentré tout-à-fait chez les humains, le poète est décidé à
tirer, comme il le dit lui-même, un cri de l'âme des vivants.
Ce cri de foi, d'espérance et d'amour, d'où peut-il jaillir,
si ce n'est du cœur de la jeunesse ? Il fut un temps où le