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VICTOR DE LA.PRADE 209 teur doit lui savoir gré de la douce pitié que sa situation inspire, des quelques larmes que fait couler son touchant amour fraternel, plus touchant encore si a sa sincérité ne se mêlait une ombre d'égoïsme. Dans cette réserve presque glaciale, il faut admettre un parti pris chez Victor de Laprade, l'homme d'art par excellence, — témoin le chœur admirablement calqué sur l'antiquité. Son dessein était, sans doute, que l'on saisît plus promptement et plus facilement, grâce à ce fin calcul de colère, d'enthousiasme contenus, les traits dirigés contre son temps, contre le gouvernement sous lequel il vivait, contre ces parasites impurs, ces vils chanteurs, ces his- trions, enfin, comme ils les appelle, dont le premier il avait tant à se plaindre, chose d'ailleurs permise a l'aède qui doit faire resplendir la vérité secrète. Chacun de ces traits porte comme une flèche qui part d'un arc tendu avec patience et habileté. J'ignore si certains vers ne sont pas entièrement traduits de l'un des tragiques grecs. Mais ils s'appliquent avec tant de bonheur h notre époque que leur inspiration semble venir d'elle, et si telle est noire conclusion, pourquoi l'auteur chercherait-il à nous en détourner ? Puisque, délais- sant le rêve, il veut entrer dans la lutte, libre a lui de frap- per ses coups avec les armes que lui offre son temps, pourvu toutefois qu'il repousse le mensonge et la calomnie. Il n'a d'excuse a demander à personne, lorsqu'il perce de part en part l'ennemi loyalement attaqué. Il use, en effet, du droit des gens, et son triomphe est celui de la justice. D'ailleurs, son impartialité doit le mettre à couvert du repro- che. En même temps qu'il dévoile avec l'audace du conjuré les vices du tyran, il emprunte au chœur antique son équité pour confesser les fautes de l'esclave, « N'accuse que nous seuls de lu chute des lois ! Ose à ce peuple vain le dire à haute voix : 14