Revue du Lyonnais » série 3 - n°15 ( 1873 ) » pp.380

380                       DE LA VÉRITÉ.
 savons que tel corps particulier considéré comme un volume,
comme poids, comme matière, comme essence, comme couleur,
comme forme extérieure, existe. Qu'on pose un carré de mar-
bre blanc sous mes yeux, tout l'univers dira comme moi que
 c'est là un carré de marbre blanc ; il en sera de même d'un fruit,
d'une fleur, d'une herbe, d'une motte de terre. Les sciences
 exactes sont le produit de cette certitude matérielle ; la nature
des choses le veut ainsi. Il n'en est pas de même des sciences
morales : dans les premières, l'esprit et les sens contrôlent ce qui
est tangible ; dans les secondes, l'esprit seul contrôle ce qui est
intangible ; or, les sens diffèrent peu, et ce qu'ils contrôlent
est contrôlé par tous les hommes; mais l'esprit des hommes
est fort variable, et il s'en faut que ce qu'un esprit contrôle pour
soi, il le contrôle pour tous. Combien donc les matérialistes se
trompent quand ils veulent régir l'esprit, par les lois qui ré-
gissent la matière, et ce qui est intangible comme ce qui est
tangible !                \
   Je lis dans tel manuel de philosophie que Descartes créa la
certitude de l'évidence. Qu'est-ce que la certitude de l'évidence ?
certitude et évidence se confondent, à cela près que l'évidence
est le comble de la certitude, et que la certitude est inutile là
où l'évidence, qui lui est supérieure, existe. Prouver l'évi-
dence, e'est l'obscurcir ; vous voulez me démontrer la cer-
titude de ce soleil que je vois, de cette mer qui s'agite sous
mes regards, vous m'en faites presque douter. Ce que je vois, je
l'affirme parce que je le vois: j'ai d'excellents yeux et vous m'of-
frez de médiocres lunettes, merci !
    En somme, la probabilité morale n'est qu'une simple vraisem-
blance, et n'est pas le vrai ; et ce que nous appelons certitude
morale n'est qu'une conviction plus ou moins intime du vrai,
 d'après un ensemble de probabilités qui ne sont pas le vrai ;
si bien que sans la révélation, nous manquons de critérium
dans l'ordre moral. Je l'ai déjà dit : dans l'ordre moral, Dieo
seul pose les prémisses, l'homme se borne à déduire, et l'homme
ne déduira jamais sa morale que de la religion.
    S'il y avait des critères certains pour vérifier les principes du