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tude qui jusqu'à ce jour avait fait sa force. Il lui fut difficile
de continuer sa traduction de la Bible, l'Å“uvre la plus grande
de son époque; à chaque instant, Catherine Bora venait l'in-
terrompre ; le pauvre docteur, obligé de se réfugier dans
son cabinet, s'enfermait avec des vivres, et refusait toute
communication avec son épouse. Mais cet asile même n'était
pas respecté (1).
   « Un jour, c'est Meyer, le panégyriste de Catherine, qui
raconte celte histoire, un jour qu'il était sous clé, avec ses
provisions ordinaires, faisant la sourde oreille aux cris de
Kétha et continuant, malgré le tapage organisé à la porte de
sa chambre, à s'occuper de la traduction du vingt-deuxième
psaume, il entendit tout à coup ces mots, à travers une p e -
tite lucarne : — Si tu n'ouvres pas, je vais chercher le serru-
rier. Le docteur, épanoui sur le livre du psalmiste, s'éveilla
comme d'un sommeil profond, en suppliant sa femme de ne
pas l'interrompre dans son heureux travail. — Ouvre, ouvre,
répétait Catherine. — Le docteur obéit: J'avais peur, dit Ké-
tha, qu'il ne te fût arrivé quelque chose de fâcheux, depuis
trois jours que tu es enfermé dans ce cabinet. A quoi Luther
répondit socratiquement : « Il n'y a de fâcheux que ce que
j'ai devant les yeux.
   Que de contrastes dans ce caractère ! Indulgent avec sa
femme, tendre avec ses enfants, colère avec ses ennemis,
hardi dans ses doctrines, scandaleux dans ses injures, ignoble
dans ses calomnies, étonnant par sa science, populaire par
son style, enthousiaste et fourbe, tonnant contre les supersti-
tions des papistes et jettanl son écritoire à l'oreille du diable
dont il a peur, dominant tous ses contemporains et doutant
de sa propre mission, guidé d'abord par la sincérité, égaré
ensuite par la passion, et enfin retenu dans le mal par l'orgueil.
   Tel est Luther. Bossuet a crayonné ce portrait dans ['His-
toire des Variations ; il est aussi vrai qu'énergique.
  (1) Audin, Histoire de la Vie et des Doctrines de Luther, pag. 368, t. II.
                                                Ernest     FALCONNET.