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366 tude qui jusqu'à ce jour avait fait sa force. Il lui fut difficile de continuer sa traduction de la Bible, l'œuvre la plus grande de son époque; à chaque instant, Catherine Bora venait l'in- terrompre ; le pauvre docteur, obligé de se réfugier dans son cabinet, s'enfermait avec des vivres, et refusait toute communication avec son épouse. Mais cet asile même n'était pas respecté (1). « Un jour, c'est Meyer, le panégyriste de Catherine, qui raconte celte histoire, un jour qu'il était sous clé, avec ses provisions ordinaires, faisant la sourde oreille aux cris de Kétha et continuant, malgré le tapage organisé à la porte de sa chambre, à s'occuper de la traduction du vingt-deuxième psaume, il entendit tout à coup ces mots, à travers une p e - tite lucarne : — Si tu n'ouvres pas, je vais chercher le serru- rier. Le docteur, épanoui sur le livre du psalmiste, s'éveilla comme d'un sommeil profond, en suppliant sa femme de ne pas l'interrompre dans son heureux travail. — Ouvre, ouvre, répétait Catherine. — Le docteur obéit: J'avais peur, dit Ké- tha, qu'il ne te fût arrivé quelque chose de fâcheux, depuis trois jours que tu es enfermé dans ce cabinet. A quoi Luther répondit socratiquement : « Il n'y a de fâcheux que ce que j'ai devant les yeux. Que de contrastes dans ce caractère ! Indulgent avec sa femme, tendre avec ses enfants, colère avec ses ennemis, hardi dans ses doctrines, scandaleux dans ses injures, ignoble dans ses calomnies, étonnant par sa science, populaire par son style, enthousiaste et fourbe, tonnant contre les supersti- tions des papistes et jettanl son écritoire à l'oreille du diable dont il a peur, dominant tous ses contemporains et doutant de sa propre mission, guidé d'abord par la sincérité, égaré ensuite par la passion, et enfin retenu dans le mal par l'orgueil. Tel est Luther. Bossuet a crayonné ce portrait dans ['His- toire des Variations ; il est aussi vrai qu'énergique. (1) Audin, Histoire de la Vie et des Doctrines de Luther, pag. 368, t. II. Ernest FALCONNET.