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514 CHARABARA. La bêtise humaine est tenace, comme elle est cosmopolite. Telles étaient à peu près les réflexions que suggérait au capilaine Gauthier, par une triste soirée d'automne, l'aspect desflofsgonflés des deux rivières près d'atteindre sa modeste demeure, située pourtant au point culminant de la presqu'île. Le tableau était grandiose et sombre. Refoulée par le choc im- pétueux du Rhône, la Saône envahissait sa rive gauche avec ce calme implacable et cette morne régularité plus effrayants que les colères échevelées du fleuve alpin. La cataracte est terrible, l'eau dormante est sinistre. Des épaves de toute nature suivaient le fil de l'eau ou tournaient aux remous, muets indices de scènes navrantes. Comme si le ciel eût voulu jouer un rôla dans fe drame, des nuages plombés pesaient sur les hauteurs de Fourvière, tandis que des bandes d'un rouge sanglant zébraient au sud et à l'est les noires profon- deurs de l'horizon. Une lumière livide, qui n'était ni le jour ni le crépuscule, faisait saillir en vigueur les premiers plans et voilait les lointains d'une pénombre lugubre. Delacroix, (je suis assez philistin pour ne pas l'adorer , mais cela vous est bien égal et à lui aussi), Delacroix excellait à rendre ces effets fantastiques, rares dans la nature, fréquents dans les rêves. Sa Barque infernale est éclairée de ces étranges lueurs Une rumeur immense, formée de cris, de chocs, d'écroule- ments,se mêle à la voix tonnante des grandes eaux. De la Mula- iière à Perraohe on n'aperçoit que la crête des chaussées. Une écume limoneuse déferle aux pieds du capitaine, à vingt pas de sa porte. Toutes les maisons voisines sont abandonnées Le capitaine se met en selle pour fuir à son tour, quand une épouvantable vision fait pâlir son front accoutumé à toute l'horreur des champs de bataille. Un train de bois descend à la dérive, éparpillé comme une gerbe dénouée, Les sapins énormes, ballottés comme de frêles