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414              LES DEUX PLATS D'ÉPINARDS.

   A ces mots, Paul Rives conjura le vieillard de lui raconter
l'origine de ces deux plats d'épinards (c'est ainsi qu'il les
appelait). El comme les personnes -âgées sont en général très-
disposées à satisfaire à ces sortes de demandes, M. Verbois
parla ainsi :
   --* Mon jeune ami, j'ai eu votre âge, durant lequel, moins
sage que vous, je m'occupai beaucoup plus de mes propres
aventurés galantes qu'à faire des romans avec celles de mes
amis; j'ai payé ma large part de folies et d'égarements à ce
monde que trop souvent on juge dans sa vieillesse avec une
sévérité exagérée, en dépit de l'indulgence dont soi-même on
eut besoin pour les écarts de ses jeunes ans. Des maux graves,
des chagrins amers, des remords vrais furent et sont encore
la punition de mes coupables légèretés. Relire depuis vingt-
cinq ans dans cet asile, j'y sui lentement remonté dans des
régions plus calmes, p'us sereines, où mon âme, revenant
sur son orageux passé, a éprouvé le besoin de racheter par de
saines occupalions et quelques bonnes œuvres les erreurs
d'une folle jeunesse.
    Entouré de riantes campagnes, dans l'un des plus magnifi-
ques pays de la lerre, j'aime à baigner mon existence dans
l'air si frais et si pur de nos contrées. La promenade est de-
venue ma jouissance la plus vraie, car j'y joins mes gOûls lit- -
téraires, qu'elle favorise en me plaçant chaque jour en face
d'une nature superbe; j'y puise de l'inspiration pour mes vers,
des comparaisons pour ma prose,, et, sans cesse muni de
mon calepin, je m'arrête sous un arbre pour y polir une
strophe, y tirer une pensée et délasser mon corps en occu-
pant mon esprit. Combien de fois, ainsi que Boileau, j'ai
trouvé au coin d'un bois le moi qui m'avait fui! l'image dont
j'avais besoin, la comparaison que j'avais cherchée, prenant
ainsi pour aide et collaboratrice cette campagne si variée dans
ses aspects, tantôt verdie par le printemps, enrichie par l'été,