Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
 458                   EXCURSION DANS LE MIDI.
seignement terrible qu'il porte avec lui touchant la honte et le
malheur des peuples livrés aux discordes civiles (1) :

   Vers la fin de juillet 1815, le maréchal Brune, après avoir fait sa soumission
au gouvernement royal, remit le commandement de Marseille et de la hui-
tième division militaire à M. le marquis de Rivière, qui lui délivra un passe-
port pour retourner à Paris.
   Un de ces pressentiments, auxquels les hommes d'un grand caractère met
tent peut-être trop d'orgueil à ne pas céder, avait déterminé le maréchal à
s'embarquer à Toulon, pour gagner un port de la Bretagne, d'où il se serait
rendu à Paris. Déjà ses effets étaient transportés à bord du navire, ainsi que
ceux du chef de son état-major, M. Bedos. Une fausse honte, la crainte de
laisser un témoignage de faiblesse dans l'esprit de ceux qui s'efforçaient de
prouver au maréchal que le chemin de terre ne présentait aucun danger,
finit par changer ]sa résolution. Il prit sa route à travers la Provence, escorté
par un escadron de chasseurs ; ses aides de camp le suivirent; le chef d'état-
major s'embarqua seul : l'événement a trop justifié sa prévoyance.
   Arrivé sur les bords de la Durance, le maréchal, poussé par une fatalité
(je n'ose dire aveugle), congédia son escorte ; et le mardi 2 août 1815, vers
les dix heures du matin, il entra dans Avignon pour n'en plus sortir vivant, et
descendit à cette auberge du Palais-Royal, où on lui servit à déjeûner avec
ses aides de camp, dans cette même chambre où je vous raconte en ce mo
ment sa fin déplorable.
   Une heure, une heure fatale s'était écoulée j le maréchal en remontant en
voiture fut reconnu et nommé par un militaire qui se trouvait avec quelques
autres personnes sur la porte du café du Midi, situé en face de la poste aux
chevaux. L'aspect du guerrier excita parmi les spectateurs le mouvement
d'une curiosité respectueuse, à laquelle un seul mot fit changer de motif :
« Admirez (s'écrie un homme en se mêlant au groupe du peuple assemblé
plus près de la voiture), admirez l'assassin de la princesse de Lamballe. »
   On eût dit qu'à cet affreux mot d'ordre des légions de bandits étaient sor-
ties de dessous terre ; des huées se font entendre ; la voiture part : mais elle
est arrêtée, à la porte de l'Ouïe, par un poste de gardes nationaux, tout fier
d'examiner le passe-port d'un maréchal de France. L'officier de service exige
que ce passe-port, écrit tout entier de la main de M. le marquis de Rivière,
soit visé par le major Lambot, commandant provisoire du département de

   (2) Nous avons emprunté le récit qu'on va lire à M. Jouy, dans son Ermite,
en Province.