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564 LA REVUE LYONNAISE dans une langue ondoyante et melliflue, gonflante et traînarde, une langue grossie de tous les mots, de toutes les banalités de ren- contre, une langue devenue le confluent de tous les idiomes, taillée dans tous les anciens oripeaux, pailletée de tous les anciens clin- quants de toutes les littératures du monde. Le roman était tout cela, et la nouvelle était le roman en raccourci. Aujourd'hui plus ou peu de sujet. Pas de tableaux faussement historiques, à draperies amples, à effets grandioses, à hautaine morale, mais des tableaux de chevalet et des miniatures. Une frac- tion d'idée, une nuance de sentiment, la modulation d'une impres- sion, le tic d'un bourgeois, le pli d'une chose, la cassure d'un objet sont à cette heure tout le sujet à amplifier, toute la scène à faire. L'art moderne n'a pas la prétention de créer, d'imaginer, d'embellir, de se hausser par-dessus le réel à un idéal esthétique, il regarde, il retourne, il inspecte, il inventorie, il pénètre; il voit, et avec ses yeux à lui ; il sent, et avec ses nerfs ; il traduit, et avec sa façon habituelle de traduire, son mode spécial d'interprétation, son tempérament propre, sa manie même, qui n'est pas celle de son voisin, et qui lui fait choisir dans l'état d'une âme une face, dans l'étude d'un paysage une teinte que vous et moi avions soupçonnée, et que lui s'applique et réussit à faire saillir. A l'encontre des Primitifs qui s'arrêtent au contour et s'accrochent au relief, lui soulève l'enveloppe, creuse en dessous de l'écorce, écarte ces quelques impressions de première vue, ces sensations de la première minute, tout ce gros de l'objet qui d'abord frappe et saisit, pour chercher sous quelque voile, dans quelque obscur recoin delà plus banale vie humaine, un trait de mœurs singulier, un fait curieux, un quelque chose de très vivant, mais d'inaperçu et d'insaisissable, qui nous a occupé à certaines heures, que nous n'aurions pas pu exprimer, et que sa méthode délicate d'investigation, sa psychologie sinueuse et flexible arrache et découvre. Voilà en quoi nos conteurs modernes ont innové, en quoi M. de Maupassant inquiète et séduit. Assurément, si le Réalisme n'était qu'une copie conforme, le daguéréotype, YOmbroscope, cette dernière trouvaille, des hommes et des choses, que deviendrait, où irait, où verserait ce besoin qu'a notre esprit de chercher dans la nature extérieure comme une vague ressemblance avec ce qui remue dans notre être, ce qui