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606 LA REVUE LYONNAISE et pillé par des mains françaises et par ordre du Directoire, l'un des plus mépri- sables gouvernements que la France ait eu à endurer et qui peut-être trouve son égal aujourd'hui. La victoire avait ouvert à nos armées les portes de l'Italie; l'honneur s'était réfugié sous le drapeau, mais aucun sentiment généreux ne se trouvait dans le cœur de ceux qui, de Paris, dirigeaient nos vaillantes cohortes. Ils avaient proclamé que tous les peuples étaient frères et ils traitèrent les frères d'Italie comme les Huns et les Visigoths avaient traité les peuples civilisés, quand ils fondirent comme un immense torrent dévastateur sur le Midi de l'Europe. Ces horreurs ne purent manquer d'émouvoir P.-L. Courier qui manda à un de ses amis : « Dites à ceux qui veulent voir Rome qu'ils se hâtent, car chaque jour le fer du soldat et la serre des agents français flétrissent ses beautés naturelles et la dépouillent de sa parure ; je ne sais pas d'expressions assez tristes pour vous dépeindre l'état de délabrement, de misère et d'opprobre où est tombée cette pauvre Rome que vous avez vue si pompeuse et de laquelle, à présent, on détruit jusqu'aux ruines... Les monuments ne sont guère mieux traités que le peuple qui a faim. Tout ce qui était aux Chartreux, à la villa Albani, chez les Farnèse, les Onesti, au Muséum Glémentin, au Capitole est emporté, pillé, perdu ou vendu. Les Anglais ont leur part et des commissaires français, soupçonnés de ce commerce, sont arrêtés ici ; mais cette affaire n'aura pas de suite... » Du reste, la France elle-même n'avait-elle pas subi les mêmes horreurs? La Répu- blique de 1792 n'avait pour siège que des ruines, de la boue et du sang. Mais le soleil reparaît toujours après les plus cruels orages. Rome revoit les plus illustres visiteurs, une Lyonnaise, Mme Récamier, était du nombre, après avoir charmé par sa beauté et son exquise bienveillance, à Venise, le cercle d'amis et d'hommes distingués qu'elle y avait formé autour d'elle ; mais elle était exilée : l'empereur avait eu la faiblesse d'avoir peur d'une femme inoffensive et dont le crime était d'être entourée, comme une reine, d'hommes dont l'esprit généreux et libéral avait horreur des excès du pouvoir. Je ne nommerai pas toutes les célébrités dont M. Bournet a résumé les impressions sur Rome ; ce sont presque tous les mêmes que ceux qui avaient campé momentanément à Venise, leur première étape en Italie. Les citations de M. Bournet sont des plus heureuses aussi, et nous donnent une saisissante image de ce qu'est Rome dans nos temps modernes depuis le commencement de notre siècle. Ce second volume égale le premier, on y trouve à côté d'une grande érudition, les pensées les plus heureuses expri- mées dans un style simple et distingué, les sentiments les plus exquis, même, un peu de mélancolie, mais qui n'en éprouve pas à la vue de Venise et de Rome qui fascinent tous ceux qui les visitent et se plaisent à errer dans leurs ruines, de même que le florentin Siméoni avait été fasciné, au xvie siècle, quand il se penchait sur les ruines de notre vieux Lugdunum. Noblesse oblige, M. Bournet reprendra donc bientôt encore sa plume facile et élégante, et ce sera fête pour nous de parler de ses nouveaux travaux ; il est au début de la vie, à cet âge heureux où le temps n'a pas encore flétri les illusions, où le feu sacré brûle d'une flamme vivace, et cependant, déjà , il a su se faire une place parmi les écri- vains distingués. M. Aimé Vingtrinier s'est empressé déjà de le lui dire en parlan* de son Yenise et de voir en lui une « étoile qui se lève ». Quand cet écrivain qu'ont ne peut qu'aimer, aura lu « Rome » il dira comme nous, que cette étoile est déjà des plus brillantes. X. X.