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212                       LA R E V U E L Y O N N A I S E

   — Mèstre, ié vau, respoundè Pèire.
   E tout d'un-tèms, Pèire de si braio tiro soun coutèu, apound à-
n-un peirard un tros de sinso, e'mé lou coutèu pico de flo.
   Mai lou pelot ié dis à Jan :
   — Boufo, Jan!
   — Mèstre, ié vau, respoundè Jan.
   E tout-d'un-tèms, Jan emé sa bouco boufo li belugo dins lou
blad. Ai! ai! aiîlaflamo enfoulesido agouloupo la meissoun, e
serpentejo, e porto ourrour ! Lis estoubloun petejon, la panouio se
rirao, lou gran se carbounello, lis espigo sènton l'uscle; e dins lou
fum, e dins la braso, e dins li cendre, l'avare es aqui ne, desmemou-
ria, qu'espèro dins l'espaime de vèire pouncheja si garbeiroun...
Esperara lontèms!
   E sus acè d'aqui, sono si ràfl, e li meno à si blad.
   Si ràfî, à-n un ié disien Jan, à l'autre Pèire.
   Coume arribon à la terro, lou pelot dis à Pèire : Pèire, pico
de flo!
                                                      F.    MISTRAL.


   Et sur-le-champ il appelle ses hommes et les mène à ses blés.
   Ses hommes, on les nommait l'un Jean et l'aulre Pierre.
   Gomme ils arrivent au champ, le pelot dit à Pierre:
   — Pierre bats le briquet.
   — Oui, maître, répond Pierre.
   Et aussitôt Pierre tire de ses chausses son couteau, met sur la pierre à feu de
l'amadou et bat le briquet.
   Mais le pelot dit à Jean :
   — Souffle, Jean.
   — Maître, j'y suis, répondit Jean.
   Et aussitôt Jean avec la bouche souffle les étincelles dans les blé, ai! ai! ail la
flamme affolée enveloppe la moisson, serpente, et fait horreur! le chaume pétille,
latalle brûle, le grain se carbonise, les épis sentent le brûlé; et dans la fumée,
dans la braise, dans les cendres, l'avare est là, stupéfait, attendant éperdu, dans les
spasmes de l'épouvante, de voir se dresser les gerbiers.
   Il attendra longtemps!
                                                              (Trad. par P. M.)