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350                     LA REVUE LYONNAISE
tant soit peu digne de ce nom, amenez-la, dussiez-vous vous enga-
ger à ne pas fumer devant elle, dussiez-vous la couvrir d'or, entre-
tenir ses amants, reconnaître ses enfants naturels. Les maritornes
du cru, quel que soit leur pays d'origine, sont très promptement et
très fortement imbues des grands principes de 89, voire de 93;
un effet de l'Algérie ! Si elles se résignent à subir l'exploitation de
l'infâme capital, ce n'est pas sans conditions. Il leur faut de gros
appointements, de grosses êtrennes et de gros égards. Les égards
consistent à leur laisser la liberté des nuits, toutes les fois que par-
lera la nature, et soyez prévenu qu'elle parlera souvent, à ne ja-
mais prendre avec elles le ton et les manières du commandement,
mais vous laisser glisser gracieusement sur la pente de cette
familiarité douce qui rapproche les distances et répare les injus-
tices du sort, avoir soin de vous lever avant elles, et faire en sorte
qu'elles n'aient point à allumer leur feu, ne pas les assujettira
l'obligation du rôti pendant les chaleurs, dîner hors de chez vous
les dimanches et fêtes, ne pas leur imposer des draps de lit d'une
toile trop neuve et trop rude, et, surtout, ne jamais vous livrer, dans
l'examen des comptes du marché, à cet épluchage mesquin si nui-
sible au bon accord ; moyennant quoi elles consentiront peut-être
à vous servir deux fois par jour la plus abominable ratatouille qui
ait jamais attristé l'estomac d'un pauvre homme. Il faut dire, à
leur décharge, qu'aucune cheminée ne tire, et que presque tout le
charbon est incombustible. Réunies chaque matin dans un cabaret
borgne aux environs des halles, elles y règlent, en sirotant le café,
les figures compliquées de la danse de l'anse, tiennent la bourse de
la carotte, décident de combien sera majoré le prix de la viande,
 et quel tribut sera prélevé sur le légume. Une revanche du pauv'
 peuple !
   Charmants aussi les fournisseurs ! Gardez-vous de les confon-
dre avec leurs congénères de France. Là-bas, quand vous pénétrez
dans un magasin, dans une boutique, tout le monde s'empresse;
on vous débarrasse de vos paquets, on caresse vos enfants, on vous
offre une chaise, un verre d'eau, on cirerait vos bottes au besoin,
votre argent vous est soutiré avec tant de délicatesse, de politesse
et de grâce que vous ne vous en apercevez pas et que vous avez,
une fois mis à sec, envie de remercier ; l'extraction du porte-mon*